L'autoconservation sociétale des ovocytes

Le Collège National des Gynécologues-Obstétriciens Français (CNGOF) s'est prononcé en faveur de "l'autoconservation sociétale" des ovocytes. En clair, c'est permettre aux femmes dont l'âge avance sans qu'elles aient encore pu avoir leurs maternités, de mettre en réserve leurs ovocytes afin de retarder l'échéance de la baisse de leur fertilité. Le débat est ouvert depuis que la congélation ovocytaire a progressé grâce à la vitrification, au point qu'il est presque devenu possible d'affirmer qu'un ovocyte cryopréservé donne les mêmes chances de grossesse qu'un ovocyte frais. Le législateur n'a pas prévu cette éventualité en réservant le recours à l'Assistance Médicale à la Procréation aux seules nécessités médicales, l'infécondité d'une part, et le risque de transmettre une maladie génétique grave et incurable d'autre part. Cependant, le même législateur autorise la préservation de la fertilité lorsqu'un traitement stérilisant est envisagé, en général pour une affection maligne.

Cette possibilité existe déjà depuis longtemps pour les hommes. Elle s'est étendue spontanément à d'autres situations au-delà du cancer. La conservation préventive des spermatozoïdes est réalisée devant un risque de dégradation supplémentaire de la fonction spermatique tel qu'il est parfois constaté lorsque le sperme est déjà déficient, ou encore, avant de réaliser une vasectomie pour stérilisation masculine. Il arrive aussi qu'elle soit faite lorsque l'homme a du mal à recueillir lui-même son sperme et qu'une insémination ou une fécondation in vitro doit avoir lieu. Tout le monde sait qu'il y a des cas où la conservation a été faite parce que l'homme devait avoir une absence prolongée (sous-marinier, travail sur une plate-forme pétrolière).

Chez la femme, la préservation de la fertilité a fait l'objet de recherches complexes tant que la cryoconservation des ovocytes ne donnait pas des résultats satisfaisants. Cependant, la vitrification a radicalement changé la donne, et aujourd'hui il est possible d'envisager de mettre en réserve des ovocytes comme cela est fait pour les spermatozoïdes. Certes, les différences physiologiques rendent plus invasif le recueil des ovocytes que celui des spermatozoïdes et le nombre de cellules conservées est plus limité. Mais les performances de la fécondation in vitro permettent de calculer les chances théoriques d'obtention d'une grossesse en fonction du nombre des ovocytes mis en réserve, et chez une femme jeune ces chances sont plutôt bonnes, surtout si aucune pathologie ne vient interférer avec la qualité de ces ovocytes.

La femme, comme l'homme, peut voir sa fertilité mise en danger par un traitement anti-cancéreux et, dans cette situation, personne ne conteste le recours à la conservation de ses ovocytes. Comme chez l'homme, la fertilité féminine est parfois précocement en danger en raison de l'installation d'une déficience ovarienne prématurée. Lorsque cela est prévisible, le recours à la cryoconservation préventive des ovocytes est logique. Or, cette déficience ovarienne est inéluctable chez toutes les femmes qui, de ce fait, ont une période de fécondité limitée dans le temps. Cette durée possible de fécondité tend d'ailleurs à se rétrécir en raison de ce fait de société dont l'ampleur et les conséquences n'ont pas encore été évaluées à leur juste mesure : l'augmentation, encore non stabilisée, de l'âge auquel les femmes ont leurs enfants. La revendication féminine d'avoir recours à la conservation ovocytaire pour conjurer le temps qui passe se comprend. Doit-on y accéder pour cette simple raison ? Le CNGOF, dont l'axe central de réflexion est la santé de la femme, considère qu'il y a en fait de bonnes raisons d'ordre médical.

On constate en effet que le nombre de femmes et de couples qui viennent consulter pour infécondité "liée à l'âge" est de plus en plus important, conséquence mathématique de l'évolution de notre société et de l'âge de la procréation. Ces patientes sont prises en charge médicalement jusqu'à un certain âge, 43 ans en pratique, tant pour des raisons médicales (Recommandations CNGOF 2010) que pour des raisons de remboursement des soins par l'Assurance Maladie. Elles font toutes un bilan de fécondité, et lorsque techniquement il est possible d'avoir recours à l'AMP en raison d'une réserve ovarienne jugée suffisante, elles font une ou plusieurs tentatives de fécondation in vitro. Ces dernières ont un faible taux de réussite car, quoi qu'on fasse, les chances sont limitées par l'âge ovocytaire, au point que les résultats des tentatives de fécondation in vitro ne dépassent pas les chances statistiques de fécondité naturelle à ce même âge. Mais dans le doute qu'il y ait un obstacle pathologique à la fécondité, comment pourrait-on faire autrement ? De plus, en cas de grossesse, celle-ci est grevée d'un très fort taux d'avortement spontané (plus de une grossesse sur deux...), et le risque de trisomie 21 est augmenté, amenant à des interruptions de grossesse qui sont d'autant plus difficiles à vivre que la grossesse est fortement désirée.

Le CNGOF pense donc que l'autoconservation des ovocytes, à un âge où ceux-ci ont encore une qualité suffisante, serait potentiellement bénéfique pour les patientes en leur évitant les risques médicaux d'une AMP à un âge plus avancé et avec de faibles chances de réussite, et en diminuant la fréquence du recours à un don d'ovocytes en dehors de nos frontières.

Toutes les femmes devraient-elles pour autant y avoir recours ? Sûrement non, car elles sont encore nombreuses, heureusement, à avoir leurs enfants avant l'âge de 35 ans, âge à partir duquel on estime que la baisse de la fécondité ovocytaire devient significative et s'accélère. Le CNGOF estime qu'il ne serait pas justifié, en dehors de situations médicales précises, de mettre en réserve ses ovocytes avant l'âge de 30 ans. On ne constate en effet pas de différence de résultat des fécondations in vitro chez les patientes de moins de trente ans et celles dont l'âge est compris entre 30 et 35 ans.

Jusqu'à quel âge pourrait-on envisager d'avoir une grossesse grâce à ses ovocytes cryoconservés ? Il serait déraisonnable de penser que puisque la congélation des ovocytes permet une conservation théoriquement infinie, on pourrait étendre démesurément l'âge de la procréation. Certes, non, car la grossesse elle-même voit son risque maternel augmenter de façon substantielle quand la femme avance en âge. L'accord professionnel n'est pas encore fait sur ce point. Certains optent pour "autour de la cinquantaine" (ESHRE, 2013). Les gynécologues-obstétriciens français seraient volontiers plus restrictifs, mais ils ne se sont pas encore prononcés.

Même si une limite restrictive, basée sur ce qui serait jugé raisonnable tant pour l'intérêt de la mère que pour celui de l'enfant à naître, était adoptée, le gain de "santé" pour les patientes serait positif en leur évitant une prise en charge tardive de leur infécondité.

Le législateur est-il prêt à suivre ? Ce n'est pas certain. Il aura à débattre de l'usage qui pourrait être fait de l'AMP pour permettre à des couples homosexuels d'avoir un enfant. Il devra aussi examiner la question de "l'autoconservation sociétale des ovocytes". Les deux questions ne sont bien entendu pas liées, mais toutes deux concernent une extension de l'usage de l'AMP au-delà de ce qui avait été initialement envisagé. La deuxième n'est pas celle qui a le moins de légitimité.

 
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