La congélation ovocytaire sociétale, oui ou non ?

 La mise au point de la vitrification ovocytaire a créé une véritable révolution dans la conservation des gamètes. En effet, si la conservation du sperme existe depuis plusieurs décennies, la conservation des ovocytes (malgré une première naissance obtenue en 1985) donnait des résultats très décevants jusqu'à ces dernières années. Les résultats en termes de grossesse étaient inférieurs à 10 %. Ces résultats ont été considérablement augmentés avec l'utilisation de la vitrification, technique de congélation qui consiste à congeler de manière ultra rapide la cellule, en la plongeant directement dans l'azote liquide (-196°C) après immersion dans un cryoprotecteur.        

 Cette méthode de congélation avait déjà amélioré considérablement la congélation embryonnaire. L'amélioration concernant les ovocytes concerne à la fois la résistance de la cellule au processus de congélation/décongélation, mais aussi la conservation des propriétés fonctionnelles ovocytaire avec de bons taux de fécondation et d'implantation des embryons obtenus. Trois utilisations principales sont rendues possibles grâce à la vitrification ovocytaire.

Bien sûr, et en premier lieu, c'est la préservation de la fertilité des femmes exposées à une pathologie ou un traitement stérilisant. C'est le cas en particulier des femmes jeunes avec un cancer. Les possibilités se limitaient jusqu'alors à la congélation embryonnaire, imposant à la femme d'être dans une union durable car la récupération des embryons conservés ne peut se faire qu'avec l'accord du partenaire à l'origine des embryons obtenus. L'autre possibilité était la congélation des fragments ovariens, mais celle-ci impose une opération chirurgicale « mutilante » et les grossesses obtenues sont rares.

La deuxième utilisation concerne le don d'ovocyte, avec la création de véritables banques d'ovocytes, déjà opérationnelles aux USA par exemple. Sans aller jusqu'aux banques d'ovocytes, cette vitrification permet aux centres de dons de désynchroniser complètement la donneuse et la receveuse, ce qui simplifie considérablement l'organisation du don. La réduction du taux de grossesse avec utilisation d'ovocytes congelés est inférieure à 5 % par rapport à des ovocytes frais.

Enfin l'utilisation la plus controversée est la congélation sociétale (dite de convenance). Il s'agit de femmes qui souhaitent stocker des ovocytes pour décaler dans le temps leur capacité à faire des enfants. La constitution d'un stock d'ovocytes vitrifiés permet à la femme de contourner la baisse physiologique de la fertilité liée à l'âge. Cette possibilité à rapidement créé un véritable marché de la conservation ovocytaire. Aux USA par exemple, de véritables banques ovocytaires se sont créées, parfois même totalement indépendantes des centres de fertilité. En France la loi de bioéthique, révisée en 2011, a autorisé la conservation ovocytaire dans les cas où les femmes sont exposées à une pathologie ou un traitement stérilisant, mais elle interdit, en tout cas à ce jour, la congélation sociétale. Cette vitrification est réellement interdite, il ne s'agit pas du non remboursement par la sécurité sociale. A contrario, tous les pays limitrophes de la France ou presque l'autorise, et les femmes françaises désirant vitrifier leurs ovocytes se rendent en Espagne, en Belgique ou en Angleterre pour bénéficier de cette technique non disponible dans notre pays. À mes yeux, ceci est un signe de plus du caractère très rétrograde de la réglementation française en matière de reproduction. La vitrification ovocytaire rejoint les autres pratiques interdites comme l'insémination des femmes seules, la prise en charge de couples homosexuelles et le diagnostic génétique des embryons pour favoriser les taux de grossesse des femmes « âgées ». Autant l'absence de remboursement SS peut se comprendre dans le cadre d'un projet sans indication médicale, autant son interdiction pure et simple apparaît comme incompréhensible. Cette possibilité correspond à un véritable progrès scientifique permettant de lutter contre la limitation physiologique des possibilités de grossesse des femmes. Cette baisse de fécondité physiologique peut apparaître de manière précoce chez certaines femmes qui se trouvent infertile très jeunes du fait d'une insuffisance ovarienne précoce. On ne comprend pas pourquoi priver les femmes de la liberté de choisir cette conservation pour se mettre à l'abri des difficultés que représentent les unions tardives, les projets de grossesse décalés, les remariages tardifs ou tout simplement les cas où la femme aura hérité d'un mauvais stock ovocytaire et ne pourra avoir un enfant à 37 ou 38 ans du fait d'une insuffisance ovarienne majeure précoce. Finalement cette interdiction poussent les femmes à se diriger vers l'étranger et induit une véritable sélection par l'argent des françaises qui peuvent ou ne peuvent pas vitrifier un capital ovocytaire.

Cependant, il ne faut pas voir dans la vitrification ovocytaire la solution à la baisse physiologique de la fertilité. En effet plusieurs limitations méritent d'être soulignées.

Tout d'abord, les chances de grossesse avec ovocytes congelés diminuent rapidement avec l'âge des femmes. Or l'expérience montre qu'aujourd'hui, la majorité des femmes qui souhaitent se tourner vers la vitrification ovocytaire ont 38 ans et plus. Elles pensent à cette possibilité à un moment où elles savent que la capacité de faire des enfants entre dans une phase critique. Malheureusement plusieurs études montrent que tout comme en FIV, les résultats en terme de grossesse évolutive après 38 ans sont faibles voir très faibles avec les ovocytes vitrifiés. Les centres de congélation honnêtes déconseillent la congélation au-delà de 36 ans en dehors de femmes qui ont des ovaires très riches en follicules, ce qui est rare. Il faudrait idéalement congeler ses ovocytes avant 35 ans, un âge ou les femmes qui ne sont pas dans un projet d'enfant proche, ne pensent pas du tout à leur fertilité future. 

L'autre bémol à apporter est le fait que cette vitrification ne constitue pas la garantie de créer une famille. Avec une dizaine d'ovocytes congelés (ce qui correspond à un cycle avec bon recrutement folliculaire), les chances de grossesse sont de 60 %. Il ne s'agit donc pas d'une garantie de grossesse loin de là, et en plus on parle la d'un seul enfant. Faire croire à une femme qu'en un cycle de congélation ovocytaire, elle se met à l'abri d'une stérilité est donc clairement un leurre. Le proposer à des femmes de plus de 38ans est presque de la malhonnêteté.

Il faut quand même reconnaître que la vitrification ovocytaire offre une possibilité réelle de sauvegarder des chances de grossesse et qu'il me semble qu'une autorisation de pouvoir réaliser ces congélations en France s'impose pour éviter le tourisme médical. Ceci est d'autant plus nécessaire que cette technique ne soulève pas les controverses bioéthiques indiscutables des autres techniques d'AMP interdites en France.

Il faudra enfin, si la loi change et que la vitrification est autorisée, penser à limiter dans le temps l'utilisation des ovocytes pour éviter les grossesses tardives. En effet la conservation des ovocytes permettrait d'envisager une grossesse à n'importe quel âge. Le record avec un don d'ovocyte est tristement détenu par l'Inde, avec une grossesse obtenue à 72 ans ! Il faudra bien sûr empêcher ce type de dérives scandaleuses. 

 
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