Traitement de l’hypothyroïdie infraclinique, n’en fait-on pas trop ?

Les modifications de la grossesse entrainent une diminution physiologique des taux de TSH. Ainsi, la plupart des sociétés savantes recommandent de viser  une TSH <2,5 mUI/L au 1er trimestre et <3,0 mUI/L aux 2ème et 3ème trimestres. Selon ces critères, la prévalence de l’hypothyroïdie infraclinique, définie par une TSH au dessus de ces valeurs associée à des hormones périphériques normales, est estimée à 15% des grossesses.

Des études d’observation suggèrent que l’hypothyroïdie infraclinique pourrait être à l’origine de complications de la grossesse. En effet, dans une méta-analyse de 18 études (1), les taux de fausse-couches, rupture prématurée des membranes, décès néonataux… y apparaissaient plus élevés. Aussi, les diverses sociétés internationales recommandent de traiter par lévothyroxine l’hypothyroïdie infraclinique dépistée durant la grossesse. Mais plusieurs problèmes se posent dès lors : existe-t-il suffisamment d’arguments pour traiter toutes  ces femmes ? Substituer toutes les patientes impliquerait un nombre considérable avec un cout notable ? Cette attitude pourrait déboucher sur un dépistage systématique qui n’est actuellement pas communément admis …

Une équipe américaine a cherché, à partir de recueils nationaux, à identifier la prévalence de l’hypothyroïdie infraclinique de grossesse et l’effet du traitement. Entre 2010 et 2014, plus de 5000 femmes enceintes ont été diagnostiquées comme présentant une hypothyroïdie infraclinique. Leur TSH était comprise entre 2,5 et 10 mUI/L avec des hormones thyroïdiennes (T3l et T4l) normales. Ces femmes ont été divisées en 2 groupes selon qu’elles avaient été traitées ou non.

Le premier objectif était de vérifier l’impact du traitement sur le risque de pertes fœtales. Les objectifs secondaires concernaient les taux de rupture prématurée des membranes, le diabète gestationnel, l’hypertension gravidique, la pré-éclampsie, le retard de croissance intra-utérin …

Parmi les femmes identifiées, 15,6% avaient débuté un traitement par lévothyroxine, dosée à 50 microgrammes/ j pour 98,7% des cas. Le pourcentage de femmes traitées augmentait avec les années témoignant d’une meilleure information des soignants : 12% en 2010 jusqu’à 17% en 2014. Le délai médian d’initiation du traitement était de 11 jours après le résultat d’une TSH élevée. 88% des femmes utilisaient plus de 80% du traitement.

Les femmes traitées avaient une TSH initialement plus élevée (moyenne de 4,8mUI/L) que les non traitées et présentaient plus souvent des anomalies morphologiques de la thyroïde associées (goitre ou nodules).

Les femmes traitées présentaient significativement moins de pertes de grossesse (10,6%) que les non traitées (13,5%) avec une fausse couche survenant en moyenne 3,3 semaines après le diagnostic d’hypothyroïdie subclinique :

  •  après ajustement sur l’âge, l’HTA, l’obésité et autres facteurs confondants, le risque de fausse couche restait inférieur chez les femmes traitées avec un odds ration de 0,62 (0,48-0,82).
  • il apparaissait une interaction continue entre la concentration de TSH pré-thérapeutique et le taux de FCS.
  • le point essentiel était que le risque de FCS ne diminuait sous traitement que pour les femmes dont la TSH pré-thérapeutique était supérieure à 4 mUI/L (odds ratio 0,45 : 0,30-0,65) alors qu’il n’apparaissait pas de bénéfice significatif chez celles dont la TSH était comprise entre 2,5 et 4 (odds ratio 0,91 : 0,65-1,23).

En revanche, certains risques semblaient supérieurs chez les femmes traitées par rapport aux non traitées :

  • diabète gestationnel (odds ratio 1,37 (1,05-1,79),
  • pré-éclampsie (odds ration 1,61 (1,10-2,37),
  • prématurité (odds ratio 1,60 (1,14-2,24) persistant après ajustement sur d’autres facteurs de risque,
  • HTA de grossesse significativement augmentée chez les femmes traitées dont la TSH initiale était comprise entre 2,5 et 4 mais curieusement pas chez les femmes traitées dont la TSH initiale variait de 4,10 à 10 mUI/L.

Seules 16% des femmes en hypothyroïdie infraclinique diagnostiquée durant leur grossesse étaient traitées dans cette large cohorte américaine. Les auteurs ont confirmé l’impact positif sur la réduction du risque de perte de grossesse grâce au traitement mais en revanche retrouvent dans ce groupe plus d’HTA gravidique, de diabète de grossesse et de prématurité. L’effet du traitement, en termes de réduction du taux de FCS, n’était significatif que chez les femmes dont la TSH initiale se situait entre 4 et 10 mUI/L.

Les pertes de grossesse en cas d’hypothyroïdie infraclinique pourraient être la conséquence directe de la mauvaise disponibilité des hormones thyroïdiennes au niveau du trophoblaste avec une diminution de l’expression de la fonction endocrine à ce niveau.

L‘augmentation des autres pathologies de la grossesse pourrait être liée à un biais de sélection des patientes traitées (plus à risque au départ ?) ou  à une plus grande surveillance de ces femmes.

Le degré d’auto-immunité n’a pas été déterminé dans cette étude, alors qu’on connait l’impact important sur le risque de fausse-couche de la positivité des anticorps antithyroïdiens, ATPO en particulier.

De nombreuses questions persistent concernant l’hypothyroïdie infraclinique:

  • qui dépister ? certains sont en faveur d’un dépistage pour toutes…
  • qui traiter ? à partir de quel taux de TSH ? seulement en cas de positivité des ATPO ?
  • quel est l’impact réel du traitement lors de grossesse mais aussi sur les fonctions cognitives des enfants : le feuilleton continue avec une réponse partielle à cette dernière question dans la prochaine newsletter !
     
  1. Maraka S, Ospina NM, O’Keeffe DT et al. Subclinical hypothyroidism in pregnancy : a systematic review ans meta-analysys. Thyroid 2016;26:580-90.
  2. Maraka S, Mwangi R, McCoy RG et al. Thyroid hormon treatment among pregnant women with subcinical hypothyroidism : US national assessement. BMJ 2017;356: i6865I doi:10.1136/bmj.i6865.

 
Les articles sont édités sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Les informations fournies sur www.gyneco-online.com sont destinées à améliorer, non à remplacer, la relation directe entre le patient (ou visiteur du site) et les professionnels de santé.