Les femmes vulnérables sont d'abord celles chez lesquelles anxiété et dépression sont déjà apparues au cours des événements de la vie reproductive dont nous venons de parler (syndrome prémenstruel, dépression du post-partum...). Mais il existe d'autres facteurs de risque et l'étude SWAN en a précisé l'amplitude : deux événements de vie particulièrement stressant OR 2,3 (vs 1ou 0), deux problèmes de santé OR 2,5 (vs 1 ou0), une dépression majeure OR 4 (vs mineure) et une histoire familiale de dépression OR 3,3. Dans cette étude, il n'y a pas de lien significatif avec les troubles du sommeil. On a longtemps pensé que la dépression était liée au cortège des symptômes vasomoteurs (SVM). Si ceux-ci peuvent l'aggraver ou éventuellement la favoriser (effet "domino"), on admet maintenant que la dépression péri-ménopausique est une entité propre, susceptible d'évoluer indépendamment. Elle peut perturber gravement la qualité de vie et mérite attention et traitement comme les SVM. Coté de la « fenêtre de vulnérabilité » dont nous venons de parler, marquée par les fluctuations ostrogéniques, il y a une « fenêtre d’intervention » qui concerne au premier plan le gynécologue.
L'administration d'estrogènes est une réponse logique. Les EG augmentent la synthèse et la disponibilité de la sérotonine, en améliore la transmission synaptique et en diminuent la dégradation. Les EG agissent sur tous les neurotransmetteurs (dopamine, noradrénaline, acétylcholine…) et modifient le fonctionnement des aires cérébrales impliquées dans l'humeur (hypothalamus, système limbique, amygdales…). La méta-analyse de RUBINOW 2015 a recensé 25 articles concernant THM et dépression. Deux RCT seulement concernent une administration en péri-ménopause. Globalement, il apparaît que les EG diminuent la sévérité des symptômes chez les femmes dépressives durant la transition ménopausique. De même, ils diminuent le risque de dépression chez les femmes "à risque". Les EG transcutanés semblent avoir un effet majoré. Pour les progestatifs, la situation n'est pas très claire. Certains peuvent freiner voire annuler ou inverser (la MPA en particulier) l'effet des EG. Chaque progestatif possède un effet propre que ce soit au niveau métabolique ou sur le SNC. La Progestérone Naturelle (PN) pourrait avoir un bénéfice particulier : lorsqu'elle est administrée per os, elle se métabolise en Tétrahydroprogestérone (THP) active sur le récepteur GABAA. Celui-ci est impliqués dans les contrôles opioïdes, sérotoninergiques et cholinergiques, avec un effet anxiolytique et neuropsychologique favorable.
Deux études randomisées récentes viennent confirmer et préciser ces résultats.
L'étude de SCHMIDT (2015) a souligné l'importance de la chute des estrogènes dans la survenue d'une dépression. Elle concerne deux groupes de patientes asymptomatiques en post-ménopause : le premier avec une histoire de dépression péri-ménopausique et une bonne réponse aux EG (quelques années auparavant) et le second sans antécédent de dépression. Trois semaines de traitement avec patch "actif" pour les deux groupes, ont été suivis de trois semaines avec patch E2 ou patch placebo. Dans le groupe avec histoire de dépression péri-menstruelle, le "switch" du patch d'E2 (100µg/j) pour le placebo a augmenté significativement le score de dépression, au contraire du sous-groupe resté sous E2. Aucun effet n'a été observé dans le groupe de femmes n'ayant pas antécédent de dépression, ni le patch actif, ni le placebo n’ont eu d’effet sur l’humeur.
Cette étude confirme la notion de période critique et le rôle des EG dans la dépression des femmes autour de la ménopause.
- En post-ménopause, il n’y a pas à attendre un effet « bonne humeur » du THM.
- L’arrêt des EG entraine une dépression uniquement chez les femmes « sensible » et chez elles, le THM doit être administré de façon continue.
- Dans cette situation la survenue d’une dépression est rapide, progressivement croissante, mais déjà significative après une semaine d’arrêt, donc avant l’éventuelle reprise d’un SMV, ce qui va contre l’effet « domino ».
L'étude de GORDON (2018) confirme l'intérêt des EG dans la transition ménopausique. Étude sur 12 mois, 172 femmes, âgées de 45 à 60 ans, en péri-ménopause et ménopause précoce, patch E2 (100µg/j) en continu et PN 200mg/j per os, 12j tous les 3 mois, vs placebo. Globalement, le groupe traité a un score de dépression significativement plus faible que le groupe placebo (17% vs 32% p<0,05). Si nous considérons maintenant le timing de la ménopause, l'effet n'est significatif que dans le seul groupe de femmes en péri-ménopause précoce (3% vs 48% p<0,001). Mais une observation importante et nouvelle concerne le groupe de femmes (59%) rapportant plusieurs événements de vie récents (dans les 6 mois précédant l'inclusion) particulièrement stressants. Deux ou plus de ces événements s'accompagnent d'une diminution du score dépressif avec les EG (p<0,005) vs placebo. Ceci suggère que le stress chronique et les perturbations hypothalamo-hypophyso-surrénaliennes attenantes, modulent l'effet des EG sur le système nerveux central, permettant une stabilisation de l'humeur. Ces résultats sont indépendants de la présence ou non d’un SVM. Il s'agit là de la première étude suggérant qu'un THM (E2 transdermique et PN intermittente en l'occurrence) peut prévenir l'apparition de symptômes dépressifs en péri-ménopause et ménopause précoce.
- Le schéma proposé ici est loin des recommandations des sociétés savantes tant sur la dose que sur le schéma (dose minimum efficace et séquence progestative au moins 12 jours par mois).
- De l’aveu même des auteurs, il s’agissait de tester une hypothèse et pas de proposer un nouveau schéma thérapeutique.
- Reconnaissons à l’auteur le mérite de mettre en avant l’importance de la recherche d’une dépression en péri-ménopause, recherche trop souvent négligée par le gynécologue. Il nous faut retenir les sous groupes de femme à risque et celles susceptibles de répondre à un THM.
En pratique quelques points clés, concernant la dépression et la péri-ménopause sont à retenir
1. Concernant la dépression
La notion de femmes "vulnérables" en péri-ménopause est importante à prendre en compte. Les antécédents de dépression, notamment dans les périodes de fluctuations hormonales, et les événements de vie particulièrement stressants, sont à souligner. Cette vulnérabilité doit être recherchée chez toutes les femmes en péri-ménopause, rendant attentif à la survenue d'un syndrome dépressif avant qu'il n'altère, souvent gravement, la qualité de vie des femmes.
Les THM (prescrit aux femmes symptomatiques) ont un effet favorable en prévention et en traitement d'un syndrome dépressif de la péri-ménopause. La voie transdermique, pour les EG, et la PN administrée per os, méritent d'être privilégiés. Le schéma recommandé est une administration d'EG continue. Une administration séquentielle, donc fluctuante, est totalement illogique et dans l'étude de SCHMIDT, les symptômes dépressifs réapparaissent de façon notable, après une semaine d'arrêt dans le groupe de femmes avec un antécédent de dépression. Plutôt que la dose minimum efficace, face à une femme dépressive, il pourrait être proposé une dose d’E2td standard 50µg/j (voire 100µg/j) au départ pour une durée de 4 à 6 semaines avec de la PN en discontinue.
La dépression est un problème grave: les femmes avec un antécédent de plusieurs épisodes dépressifs, ou avec une dépression très sévère, voire suicidaires, méritent une attention particulière avec un traitement solide par antidépresseurs et une prise en charge spécialisée. Les antidépresseurs, s'ils ont une certaine efficacité vis à vis des SVM, bouffées de chaleur et sommeil notamment, entraînent aussi souvent dysfonction sexuelle et obésité.
Une collaboration gynécologues-psychiatres à mettre en place. En péri-ménopause, les EG, en particulier transdermiques, ont un effet d'amplitude comparable à celui des antidépresseurs (ADP) chez les femmes à risque de dépression ou en dépression. Ils sont sans effet chez les femmes non déprimées et chez les femmes déprimées en post-ménopause. Dans cette situation, la combinaison ADP et THM est susceptible de gagner en efficacité pour contrôler les symptômes dépressifs vs ADP seuls. L'addition d'un ADP au THM en péri et post-ménopause est une solution pour les femmes déprimées ne répondant pas au THM seul. Inversement, les femmes traitées par ADP pour un épisode dépressif majeur, ont une meilleure réponse lorsqu'elles sont aussi sous THM (vs celles qui ne le sont pas). La combinaison des 2 traitements reversent les symptômes dépressifs plus complètement, et sans doute aussi plus rapidement, qu'il y ait ou non un SVM.
2. Concernant la péri-ménopause
La péri-ménopause coïncide avec l’arrivée de symptômes neuropsychologiques désagréables. Les SVM, et on sait maintenant qu’ils peuvent survenir des années avant la ménopause.
Les troubles de l’humeur et particulièrement la dépression dont nous venons de parler.
Mais ces symptômes, au-delà de leur désagrément, accompagnent l’amorce et/ou l’aggravation de maladies dégénératives. C’est sans doute l’activation du système sympathique (avec stress oxydatif, inflammation, insulinorésistance…) qui en est à l’origine.
Les SVM, lorsqu’ils surviennent en péri-ménopause, s’accompagnent d’un vieillissement CV encore majoré (comme l’a montré l’étude SWAN), comparativement aux SMV n’apparaissant qu’en ménopause confirmée.
Lisa MOSCONI a montré que la péri-ménopause, chez les femmes symptomatiques, s’accompagnait d’un endo-phénotype Alzheimer-like avec un hypo-métabolisme cérébral (diminution de la consomation de glucose), une augmentation des dépôts βA et une diminution du volume des substances grises et blanches au niveau des régions vulnérables pour la MA (p < 0,001 pour tous les items). Les symptômes d’une maladie d’Alzheimer préclinique coïncide donc chez la femme avec la période de transition ménopausique et sont sans doute une des explications de l’incidence majorée de la MA dans le sexe féminin après 75 ans.
Il y a pour les maladies dégénératives une fenêtre d’intervention propre à la femme : traitement au plus près des affections cardio-métaboliques, si elles existent, et surtout mesures d’hygiène de vie. Le THM, efficace pour les SMV et les symptômes neuropsychologiques, l’est probablement aussi pour le vieillissement CV. Pour la vulnérabilité Alzheimer, un effet positif du THM est aussi possible et des travaux sont en cours pour le démonter.
Il va donc falloir réviser notre stratégie, et prendre en charge la péri-ménopause, et son instabilité hormonale, bien plus sérieusement que nous le faisions jusqu’à présent ! L’attente de la ménopause et de l’arrêt de la sécrétion estrogénique ovarienne, nous mettaient dans une situation confortable. Il y a bien au début des réveils ovariens toujours possibles, venant perturber le THM, mais reconnaissons-le, nous nous occupions peu des SVM de la pré-ménopause…
Les symptômes de la dépression en péri-ménopause :
Tristesse permanente sans raison et hypersensibilité
Désintérêt général sexuel compris
Anxiété
Variation de poids (dans les 2 sens)
Troubles du sommeil (dans les 2 sens)
Fatigue permanente
Sentiment de dévalorisation
Difficulté de mémorisation et de concentration
Idées noires