Le risque thromboembolique veineux pendant la grossesse est 2 à 6 fois plus élevé comparativement aux femmes non enceintes, représentant 0.2 à 0.5 évènements pour 1000 naissances vivantes. Il constitue une cause majeure de morbi/mortalité maternelle, Le risque de survenue d’accidents veineux est maximal dans les 6 semaines après l’accouchement.
Par ailleurs, l’incidence des interruptions volontaires de grossesse (IVG) est de 56 millions par an dans le monde, représentant 25% des grossesses. Il n’existe actuellement aucune donnée sur le risque de thrombose veineuse (TV) après IVG.
Cette récente étude Canadienne a eu pour objectif d’estimer le risque thromboembolique veineux chez les femmes dont la première grossesse s’achevait par une IVG.
La cohorte incluait des patientes primigestes, âgées de 15 à 49 ans, qui avaient réalisé une IVG en Ontario entre le 1er janvier 2003 et le 31 décembre 2015.
Les patientes du groupe « IVG » étaient appariées (1 versus 1) avec des primigestes ayant eu une naissance vivante durant la période de l’étude (groupe « naissance vivante »), et avec des femmes nullipares n’ayant pas eu de grossesse pendant l’étude et jusqu’à 1 an après (groupe « non enceintes ») (1 versus 5).
Dans l’étude, 95% des IVG réalisées étaient chirurgicales et la majorité réalisées à l’hôpital avant 12 SA.
Une date index a été définie pour chaque groupe : la date de l’IVG pour le groupe « IVG », la date de l’accouchement pour le groupe « naissance vivante », la date d’appariement au groupe IVG pour le groupe « non enceintes ».
Le critère de jugement principal était un diagnostic de thrombose veineuse dans les 42 jours après la date index, pour chaque groupe. Les critères secondaires étaient la survenue de thrombose veineuse profonde des membres inférieurs (TVP), d’embolie pulmonaire (EP), ou sur un autre site.
La probabilité cumulée de survenue d’un évènement thromboembolique veineux dans les 42 jours après la date index a été estimée pour chacun des 3 groupes..
Au total, 194 086 primigestes avec antécédent d’IVG étaient éligibles : 176 000 ont été appariées avec les femmes primigestes (176 000) ayant eu une naissance vivante, et avec 880 000 femmes nulligestes.
Dans le groupe « IVG », 53/176 001 des femmes avec IVG ont eu un évènement TV dans les 42 jours post date index soit 30.1 (22-38.2) pour 100 000 femmes. Dans le groupe « non enceintes», 119/800 005 femmes « non enceintes » ont eu un évènement TV dans les 42 jours post date index, soit 13.5 (11.1-16.0) pour 100 000 femmes. Enfin, dans le groupe « naissance vivante », 325/176 000 femmes avec naissance vivante ont eu un évènement TV dans les 42 jours post-partum, soit 184.7 (164.6-204.7) pour 100 000 femmes.
Les hazard ratio comparant le groupe « IVG » au groupe de référence « non enceintes » sont de 2.23 (1.61-3.08) pour tout évènement thromboembolique veineux, 2.01 (1.34-3.01) pour une TVP des membres inférieurs et 2.63 (1.55-4.45) pour une EP, et enfin un HR non significatif de 2.08 (0.73-5.91) pour une TV sur autre site (probablement par manque de puissance statistique).
Les hazard ratio (HR) comparant le groupe « IVG » au groupe « naissance vivante » sont de 0.16 (0.12-0.22) pour tout évènement thromboembolique veineux.
Lorsque l’on comparait les groupes « naissance vivante » à « non enceintes », on obtenait un risque de TV de 13.7 [11.1-16.9] équivalent aux résultats retrouvés dans la littérature.
Enfin, le risque de TV augmente avec l’âge de la grossesse auquel est réalisé l’IVG : plus l’IVG est réalisée tardivement, plus le risque TV est élevé (135.6 pour 100 000 si > 15 SA, versus 27.1 pour 100 000 si < 15 SA).
Mécanisme physiopathologique :
Le mécanisme physiopathologique principalement impliqué serait l’hypercoagulabilité et l’augmentation de la stase veineuse pendant la grossesse, se majorant selon l’âge de la grossesse du fait de la compression utérine potentielle sur les vaisseaux abdominaux. L’autre hypothèse proposée pourrait être une augmentation de la coagulabilité maternelle par le biais des lésions vasculaires entrainées par l’acte chirurgical.
Limites :
Aucun facteur de risque thromboembolique n’a été pris en compte dans l’étude, que ce soit les antécédents familiaux de thrombose veineuse, l’utilisation d’une contraception combinée orale en post-partum immédiat, l’IMC.
Ces résultats sont difficilement généralisables à la population générale ayant recours à une IVG car ils ne prennent pas en compte les IVG médicamenteuses, les multigestes et/ou multipares.
Cependant, chez les femmes à haut risque vasculaire veineux, les précautions qui auraient été prises chez elles si la grossesse avait été poursuivie devraient être appliquées en péri IVG. Une évaluation de la balance bénéfices-risques (thromboses versus saignements auxquels ces femmes sont exposées) est souhaitable. De même, l’introduction rapide d’une contraception estroprogestative en post IVG immédiat est probablement peu recommandée chez ces femmes. Elle doit être discutée au vue de l’ensemble de ces résultats.
Conclusion :
Cette étude de cohorte, la première évaluant le risque thrombotique veineux après IVG, met en évidence un risque d’évènement thromboembolique veineux multiplié par 2 dans les 6 semaines après IVG chez des femmes primigestes par rapport aux femmes nulligestes non enceintes. Ce risque de TV reste cependant significativement inférieur à celui existant dans les 42 jours post-partum d’une naissance vivante, et semble augmenter en fonction de l’âge gestationnel.
Liu N, Vigod SN, Farrugia MM, Urquia ML, Ray JG. Venous thromboembolism after induced abortion : a population-based, propensity-score-matched cohort study in Canada. Lancet Haematology, 2018 Jul;5(7):e279-e288.