Mettre fin à la crise du vaccin anti-HPV au Japon : une quantification des avantages et des risques de la vaccination anti-HPV par l’indicateur QALY (années de vie ajustées par la qualité de vie)

Commentaire de l’article : Kitano T. Stopping the HPV vaccine crisis in Japan: Quantifying the benefits and risks of HPV vaccination in quality-adjusted life-years for appropriate decision-making. J Infect Chemother. 2019 Oct 10. pii: S1341-321X(19)30277-6. doi: 10.1016/j.jiac.2019.09.005. [Epub ahead of print] PubMed PMID: 31607433.

Au Japon, l’incidence du cancer du col de l’utérus est en augmentation régulière, puisqu’elle a presque doublé entre 1990 et 2017. Au cours de l’année 2017, 10.000 nouveaux cas de cancers du col y ont ainsi été recensés, avec 2.800 décès rapportés à cette maladie. (1)

La vaccination anti-HPV avait pourtant débuté gratuitement au Japon en 2010, avant d’être intégrée au programme national de vaccination en 2013 pour toutes les jeunes filles âgées de 12 à 16 ans. Au décours de l’introduction de ce programme de vaccination, des cas isolés de douleurs chroniques ont été rapportés chez certaines patientes vaccinées. Ces données ont été massivement répandues par la presse nationale et les réseaux sociaux, alors que les données scientifiques avaient établi que le taux de douleurs chroniques n’était pas plus élevé chez les jeunes-filles vaccinées que chez les non vaccinées (2), mettant ainsi hors de cause le vaccin. Devant l’ampleur du débat, et sans réel argument scientifique, le ministre de la santé japonais a finalement décidé de ne plus recommander le vaccin anti-HPV et d’en cesser toute promotion, tout en le maintenant dans le programme national de vaccination. Cette attitude a abouti au renforcement de la défiance de la population japonaise  envers le vaccin anti-HPV (3-4) et à une baisse de couverture vaccinale anti-HPV, celle-ci chutant de 70% à 1% (5-6).

Pour répondre à cette crainte, et tenter d’apporter des arguments objectifs sur la vaccination anti-HPV, Kitano a publié ce mois-ci dans « J Infection Chemother », un article original visant à évaluer les avantages et les risques de la vaccination anti-HPV) (7). L’objectif principal des auteurs était d’évaluer les rapports des risques/bénéfices de la vaccination pur une jeune-fille de 12 ans selon l’outil QALY (Années de vie Ajustées par la qualité de vie). Aucune donnée de cout n’a été intégrée dans le calcul, puisque la défiance vis-à-vis de la vaccination anti-HPV n’est pas en rapport avec le cout du vaccin, mais uniquement avec la crainte des complications.  Les données chiffrées en rapport avec les bénéfices et les complications du vaccin ont été extraites à partir des bases de données du ministère de la santé japonais et du centre national du cancer à Tokyo et de données déjà publiées dans la littérature.

D’après les auteurs, le bénéfice du vaccin anti-HPV est significativement supérieur au risque. Les avantages du vaccin anti-HPV, en termes de QALY gagnés sont de : 703,72, 14,45 et 30,83 / 100.000 femmes concernant le cancer du col utérin, les néoplasies intra cervicales de grade 3 et les verrues génitales, respectivement. Les pertes de QALY, dues à des effets indésirables aigus, à des effets indésirables chroniques sans besoin d'assistance et à des effets indésirables chroniques avec besoin d'assistance sont respectivement de 0,07, 5,83 et 5,82 / 100.000 femmes. Le rapport risque/bénéfice du changement de QALY est de 0,0156, en faveur de la vaccination.

Les données de l’article de Kitano vont dans le sens des données issues de la littérature scientifique internationale, en faveur de l’efficacité et de l’innocuité du vaccin anti-HPV. En 2017, on dénombrait 71 pays ayant incorporé la vaccination anti-HPV dans un programme national de vaccination (8).

En France, les recommandations concernant la vaccination sont toujours d’actualité et à diffuser (9) :

  • Pour les jeunes filles et jeunes femmes non antérieurement vaccinées, le Gardasil 9® est recommandé.
  • La vaccination est recommandée pour toutes les jeunes filles âgées de 11 à 14 ans. La vaccination est d’autant plus efficace que les jeunes filles n’ont pas encore été exposées au risque d’infection par le HPV. L’une des doses de la vaccination contre les infections à papillomavirus humains peut être coadministrée notamment avec le rappel diphtérie-tétanos-coqueluche-poliomyélite prévu entre 11 et 13 ans ou avec un vaccin contre l’hépatite B, ainsi qu’avec le vaccin contre le méningocoque de sérogroupe C dans le cadre du rattrapage vaccinal.
  • Par ailleurs, dans le cadre du rattrapage vaccinal, la vaccination est recommandée pour les jeunes filles et jeunes femmes entre 15 et 19 ans révolus.
  • Pour les patients immunodéprimés : la vaccination contre le papillomavirus est recommandée chez les garçons comme les filles aux mêmes âges que dans la population générale, avec un rattrapage jusqu'à l'âge de 19 ans révolus. Chez les enfants des deux sexes, candidats à une transplantation d'organe solide, la vaccination peut être initiée dès l'âge de 9 ans.
  • Pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, la vaccination HPV par Gardasil® ou Gardasil 9® est recommandée jusqu’à l’âge de 26 ans, en prévention des lésions précancéreuses anales, des cancers anaux et des condylomes. Dans cette situation, la vaccination peut être proposée dans certains CeGIDD et dans certains centres publics de vaccination

En France, plus de dix ans après les premières recommandations, on constate malheureusement que seules 24 % des jeunes filles se sont faites vacciner selon un schéma complet à 16 ans, ce qui est bien en dessous de l’objectif de 60 % fixé à l’horizon 2019 dans le cadre du Plan Cancer. Les freins à la vaccination anti-HPV recensés par la Haute Autorité de Santé (HAS) sont essentiellement : la réticence de certains médecins à aborder la question de la sexualité avec les adolescentes, la méfiance des patients et de leurs familles envers la sécurité des vaccins et des questions éthiques telles que les problèmes d’égalité d’accès des garçons à la vaccination. Concernant ce dernier point, la HAS souhaite ainsi recommander une vaccination des garçons de 11 à 14 ans avec un rattrapage possible pour tous les adolescents et jeunes adultes de 15 à 19 ans. Cette recommandation provisoire est soumise à la consultation publique sur le site de la HAS jusqu’au 27 novembre 2019 (10).

 

Bibliographie :

  1. Cancer Registry and Statistics. Cancer information service, National Cancer Center, Japan. Cited on June 30, 2019. Available from: http://ganjoho.jp/reg_ stat/statistics/dl/.
  2. Huygen F, Verschueren K, McCabe C, Stegmann JU, Zima J, Mahaux O, et al. Investigating reports of complex regional pain syndrome: an analysis of HPV- 16/18-Adjuvanted vaccine post-licensure data. EBioMedicine 2015 Jul 6;2(9): 1114e21.
  3. Gilmour S, Kanda M, Kusumi E, Tanimoto T, Kami M, Shibuya K. HPV vacci- nation programme in Japan. Lancet 2013;382(9894):768.
  4. Larson HJ, Wilson R, Hanley S, Parys A, Paterson P. Tracking the global spread of vaccine sentiments: the global response to Japan's suspension of its HPV vaccine recommendation. Hum Vaccines Immunother 2014;10(9): 2543e50.
  5. Hanley SJ, Yoshioka E, Ito Y, Kishi R. HPV vaccination crisis in Japan. Lancet 2015 Jun 27;385(9987):2571.
  6. Ueda Y, Enomoto T, Sekine M, Egawa-Takata T, Morimoto A, Kimura T. Japan's failure to vaccinate girls against human papillomavirus. Am J Obstet Gynecol 2015 Mar;212(3):405e6.
  7. Kitano T. Stopping the HPV vaccine crisis in Japan: Quantifying the benefits and risks of HPV vaccination in quality-adjusted life-years for appropriate decision-making. J Infect Chemother. 2019 Oct 10. pii: S1341-321X(19)30277-6. doi: 10.1016/j.jiac.2019.09.005. [Epub ahead of print] PubMed PMID: 31607433.
  8. Human papillomavirus vaccines: WHO position paper. Weekly Epidemiological Record. NO 19. 2017. Cited on June 30, 2019. Available from: https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/255353/WER9219.pdf?seq…⁄41
  9. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/calendrier_vaccinal_maj_17avril2019.pdf
  10. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3116003/fr/vacciner-tous-les-garcons-contre-les-papillomavirus-la-has-met-en-consultation-publique-un-projet-de-recommandation-vaccinale