L’oncogénétique gynécologique est une discipline dont le champ et le contexte évoluent. Principalement dédiée initialement à l’identification de syndromes de prédisposition liés à des mutations sur des gènes aux risques majeurs, comme BRCA1 ou 2, elle doit aujourd’hui intégrer les découvertes de nouveaux gènes de prédisposition avec des risques associés variés, s’intégrer dans un contexte thérapeutique avec des calendriers serrés et offrir des services nouveaux autour du risque. Les formes monogéniques de prédisposition restent l’activité majeure de l’oncogénétique en raison de la difficulté à reconnaître certains syndromes de prédisposition et à interpréter certains variants, en raison de la gravité des décisions à prendre en termes de mesures de surveillance et de prophylaxie pour adapter les recommandations à chaque patiente et pour veiller à la diffusion de l’information dans les familles et à ce que les apparenté(e)s indemnes d’une patiente porteuse de mutation soient testé(e)s et conseillé(e)s. Deux syndromes majeurs de prédisposition dominent, le syndrome sein-ovaire par mutation BRCA1/2 et PALB2 (surtout pour le sein), et une longue liste de gènes de découverte plus récente, et le syndrome de Lynch pour les cancers de l’endomètre et de l’ovaire dont sont responsables les quatre principaux gènes MMR avec des risques associés très différents selon les gènes et selon les organes (dont le colon et l’utérus principalement). De nombreux autres syndromes de prédisposition existent, parfois très rares et nécessitent une expertise particulière pour être reconnus. La réalisation de tests génétiques sur de larges panels de gènes permet d’en faire le diagnostic quand celui-ci n’a pas pu être fait initialement.
Aujourd’hui la consultation d’oncogénétique s’inscrit dans différents contextes qu’il est intéressant d’examiner séparément.
La consultation d’oncogénétique dans un contexte d’antécédents familiaux
Dans ce contexte, la consultation est destinée aussi bien à une patiente atteinte d’une tumeur, et ce sont les critères personnels autant que les antécédents familiaux qui font orienter la patiente vers la consultation. Elle s’adresse aussi à une jeune femme indemne inquiète de ses antécédents familiaux de tumeurs et dont les apparentées atteintes sont toutes décédées.
Dans le cas du syndrome sein-ovaire, on peut se fonder sur les antécédents familiaux pour calculer un score d’Eisinger afin de porter l’indication d’une consultation d’oncogénétique :
Mutation BRCA1/2 identifiée dans la famille…………….5
Cancer du sein chez une femme avant 30 ans…………..4
Cancer du sein chez une femme entre 30 et 39 ans…..3
Cancer du sein chez une femme avant 40 et 49 ans…..2
Cancer du sein chez une femme entre 50 et 70 ans……1
Cancer du sein chez un homme………………………………….4
Cancer de l’ovaire avant 70 ans………………………………….4
Si l’addition des scores de la famille avec les apparentés du premier degré (sœur, mère,…) et deuxième degré (tante, grand-mère,…) dans une seule branche parentale est égale ou supérieure à 3, une consultation d’oncogénétique est indiquée.
Si l’addition des mêmes scores est inférieure à 3, a priori il n’y a pas d’indication, sauf si les caractères histologiques de la tumeur le justifient comme on le verra plus loin.
Ce score a ses limites car une proportion importante de patientes porteuses de mutation n’a pas d’antécédents familiaux évocateurs. Il faut aussi tenir compte de la taille des familles ou si, à l’inverse, une branche parentale est totalement inconnue. Dans certains cas, les deux branches parentales sont informatives et rassurantes, et peuvent permettre d’écarter un risque pour une patiente qui s’inquiète.
A partir de différents éléments et éventuellement du score de Manchester qui sera calculé lors de la consultation d’oncogénétique, l’indication d’un test génétique sera portée et celui-ci sera réalisé en priorité chez une patiente atteinte. Les critères personnels chez une patiente atteinte sont bien précisés et déclenchent un test génétique systématique que ce soit pour le cancer du sein ou de l’ovaire, notamment dans un cadre thérapeutique.
Dans le cas d’une suspicion de syndrome de Lynch, l’accessibilité du séquençage et l’apport majeur de l’analyse de la tumeur rendent obsolètes les critères initiaux (Amsterdam et NIH) qui ont montré leurs limites, même si les antécédents familiaux sont à prendre en compte. Dans les tumeurs de l’endomètre et de l’ovaire, la recherche d’une perte d’expression d’un ou deux gènes MMR par immunohistochimie dans la tumeur doit être réalisée en priorité, ainsi que la recherche d’une instabilité des microsatellites. Des tumeurs de l’endomètre peuvent également être observées dans les polyposes digestives par mutations de PolE ou PolD et dans la polypose récessive par mutations de MUTYH. Les tumeurs de l’ovaire peuvent également avoir d’autres origines génétiques, selon les types histologiques.
La consultation d’oncogénétique dans le contexte thérapeutique, chirurgical ou médicamenteux
Les décisions chirurgicales peuvent être modulées par le contexte génétique avec une décision de mastectomie qui peut être réalisée initialement avec reconstruction immédiate si une mutation était mise en évidence. Le résultat doit être obtenue dans les 10 jours. Il peut aussi s’agir d’une stratégie chirurgicale en fin de chimiothérapie qui laisse plus de temps pour l’obtention du résultat. Dans ces deux cas, il est important que la patiente ait été vue en consultation d’oncogénétique avant le test et avant l’intervention.
L’arrivée des inhibiteurs de PARP a profondément modifié le parcours vers l’oncogénétique et son calendrier. En effet, à côté des cas ou les antécédents personnels et familiaux de la patiente porteuse d’un cancer de l’ovaire ou du sein justifient une consultation d’oncogénétique, le circuit de recherche de mutations commence logiquement par la recherche d’une mutation tumorale actionnable par les anti-PARP ou d’autres thérapies et certaines mutations trouvées au niveau tumoral peuvent être des mutations constitutionnelles, notamment sur les gènes de prédisposition comme BRCA1/2.
Les indications de ces tests dans une perspective de traitement par les inhibiteurs de PARP sont les cancers de l’ovaire papillaire séreux de haut grade ou des trompes ou du péritoine, récidivants ou nouvellement diagnostiqués, ou les cancers du sein métastatiques ou avancés. Le test sera fait de façon systématique sur la tumeur et prescrit par le chirurgien et l’oncologue dans le cadre des actes innovants hors nomenclature.
La consultation d’oncogénétique est indispensable en cas d’identification d’une mutation dans la tumeur afin d’expliquer à la patiente les enjeux de la recherche de la mutation au niveau constitutionnel, avec en particulier le risque de transmission à la descendance. Il faut souligner ici la logique de débuter l’analyse par la tumeur quand il n’y a pas d’antécédents familiaux évocateurs car l’analyse de la tumeur permettra de mettre en évidence à la fois les mutations tumorales et les mutations germinales. Pour les cancers du sein métastatiques ou avancés, c’est la mutation germinale qui fait porter l’indication de l’anti-PARP selon les recommandations INCA. En cas de mutation restreinte à la tumeur, c’est la RCP qui décide selon les indications des AMM des différents inhibiteurs de PARP en vigueur. Certains tests font appel à une signature phénotypique des tumeurs portant des mutations sur les gènes impliqués de façon directe ou indirecte, dans la recombinaison homologue. Cette signature d’une déficience en recombinaison homologue est une indication aux inhibiteurs de PARP, permettant donc d’inclure de façon plus large les tumeurs qui peuvent en bénéficier en ne se limitant pas à quelques gènes testés, mais ne permet pas d’identifier la mutation en cause, éventuellement présente au niveau constitutionnel.
La dernière expertise de l’INCA (octobre 2019) préconise une consultation d’oncogénétique d’emblée avec test germinal si le test tumoral n’est pas disponible pour un cancer du sein survenu à un âge inférieur à 35 ans, ou 50 ans si la tumeur est triple négative, et en cas d’antécédents familiaux évocateurs. C’est également le cas pour le cancer épithélial de l’ovaire en cas de survenue avant 70 ans.
Il est également essentiel de faire le diagnostic de tumeur déficiente pour la voie MMR afin d’envisager une immunothérapie. L’analyse directe de la pièce opératoire pour les marqueurs de la déficience MMR sera un premier indice qui pourra conduire à une consultation d’oncogénétique pour une suspicion de syndrome de Lynch.
Oncogénétique et estimation du risque
Cette estimation peut se faire au vu des résultats du test génétique lorsque celui-ci est positif et que les risques associés au gène muté sont connus, chez une personne indemne ou déjà atteinte. Mais cette estimation doit parfois être faite devant un test génétique négatif, chez une personne indemne. Cette estimation du risque doit tenir compte de l’ensemble des facteurs de risque que la patiente présente. Ces différents facteurs de risque peuvent alimenter des algorithmes qui permettent une estimation du risque chez une femme indemne ou évaluer le risque de futur cancer du sein controlatéral après chirurgie tumorale unilatérale. Cette évaluation est très différente de ce qu’apportent les signatures génomiques (tels les tests oncotype DX ou Endopredict) de la tumeur en termes de risque de récidive, de réponse à la chimiothérapie ou à l’hormonothérapie.
Dans un avenir proche, il devrait être possible de disposer d’un score de risque polygénique, dont il existe plusieurs versions utilisées en recherche pour le cancer du sein mais ils ne sont pas encore disponibles aujourd’hui en clinique. Ces scores permettent d’affiner l’estimation du risque lié à des facteurs génétiques qui ne reposent pas sur des mutations sur des gènes à effets majeurs, mais sur des variations de séquences communes dans la population qui contribuent, chacune pour une faible part, à un risque de cancer. Ces scores de risque polygéniques peuvent, dans un petit pourcentage de cas, conférer des risques de tumeur aussi importants que les formes dites monogéniques.
Pour conclure, les patientes doivent pouvoir trouver auprès de l’oncogénéticien(ne) une compétence et une écoute qui leur permettent d’être parfaitement informée sur les conséquences des résultats de génétique qui ont été obtenus pour elle, quel que soit son statut d’indemne ou de personne atteinte.