Aucune femme ne demande, ni n’espère, une IVG tardive

            Peut-on améliorer le parcours de soins des femmes en demande d’IVG ?
            La réponse est oui.
            L’ensemble des professionnels qui prend en charge les IVG dans notre pays se trouve en accord sur un tel objectif. Si on se souvient de ce que disait Simone Veil au parlement en 1974 « aucune femme ne recourt à l’IVG de gaité de cœur », on ne peut que se renforcer dans l’idée, qu’à ce moment-là, le réseau de soins d’orthogénie doit être parfait pour limiter, voire annihiler totalement, une quelconque souffrance surajoutée liée à une pratique de qualité médiocre des professionnels. Après le droit à l’IVG obtenu par les femmes de haute lutte, il faut désormais militer pour le droit à la bientraitance dans ce domaine. Et le mesurer.

            Or le réseau de soins d’orthogénie est fragile du fait d’un manque structurel de moyens dans les hôpitaux ou 75% des IVG sont réalisées. Comment accepter qu’il y ait autant de sages-femmes au chômage alors même que nous en manquons cruellement dans les hôpitaux et qu’elles accompagnent et réalisent fort bien les IVG médicamenteuses (soit 70% des IVG actuellement et en augmentation constante). Bien heureusement la part des IVG assurée en pratique libérale augmente elle aussi chaque année, mais elle est limitée par l’âge gestationnel à la première consultation. Même si la limite est en train d’être repoussée à 9 SA grâce à la crise sanitaire, il restera toujours une bonne part des IVG qui nécessitera une prise en charge hospitalière.
Cette fragilité des structures hospitalières se traduit par un retard à la prise en charge des patientes en demande d’IVG. Le rendez-vous pour la première consultation est parfois donné à 3 semaines ce qui retarde considérablement (parfois de 4 semaines) la date d’interruption de la grossesse. Alors, faut-il pour cette raison, allonger le délai légal ? Ne serait-il pas plus honorable pour le système de soins d’accepter de recevoir les femmes tout de suite quand elles le demandent. Le délai d’attente est délétère et ce n’est pas ce que souhaite les femmes. Proposer un geste tardif, plus compliqué et plus risqué parce qu’on n’a pas su organiser une prise en charge rapide, voilà un mauvais coup porté à la cause des femmes sous couvert de générosité.
            L’Assemblée Nationale a adopté le 8 octobre 2020 une Proposition de Loi destinée à renforcer le droit à l’IVG qui comporte un allongement du délai légal de 14 à 16 semaines d’aménorrhée (SA). 
            Or, à 14 SA une aspiration du contenu utérin est encore possible. A 16 SA, il est nécessaire de dilater davantage le col utérin au risque de créer des lésions définitives, pouvant être responsables d’accouchements prématurés ultérieurs dont la fréquence n’a pas été correctement mesurée. Les gestes nécessaires au-delà de14 SA peuvent donc être source de complications pour les femmes et leur pénibilité pourrait entraîner une désaffection des professionnels de santé qui les réalisent aujourd’hui (à l’instar de ce qui s’était produit lors du précédent allongement de 12 à 14 semaines d’aménorrhée en 2001 et 20% des praticiens de l’IVG ne pratiquent toujours pas les IVG au-delà de 12 semaines d’aménorrhée).
            Un sondage réalisé en novembre 2020 auprès des gynécologues qui réalisent eux-mêmes des IVG (783 réponses) montre que 72% d’entre eux sont défavorables à l’allongement du délai (20% sont favorables), et que 50% déclarent que si cet allongement prend force de loi, ils ne pratiqueront pas ces IVG tardives. 87% des nos collègues signalent que s’ils avaient des moyens suffisants, ils seraient prêts à recevoir les femmes en moins de 5 jours, ce qui, pour 60% d’entre eux réduirait correctement le dépassement de délai. 44% des Gynécologues interrogés signalent un manque de moyen dans ce domaine.
            Le vrai droit des femmes serait donc que l’on s’occupe de leur demande quand elle est formulée plutôt que de les faire « lanterner » plus que de raison et de les amener à un geste plus lourd puisque plus tardif.
            Quant à la technique d’IVG médicamenteuse à ce terme, celle-ci nécessite des moyens en personnel qui ne sont absolument pas couverts par la nomenclature actuelle de cet acte. Il faut remarquer en outre qu’une IVG chirurgicale est 3 fois mieux payée aux hôpitaux qu’une IVG médicamenteuse. Le choix entre les méthodes doit être laissé, quel que soit l’âge gestationnel, aux femmes après explication loyale des avantages et inconvénients des deux méthodes. Les hôpitaux voient donc actuellement leur dotation en matière d’IVG baisser du fait de la demande de plus en plus fréquente d’éviter un geste chirurgical. Il faudrait donc que le prix d’une IVG soit le même, quelle que soit la technique utilisée, car les IVG médicamenteuses nécessitent plus de personnel formé à cet accompagnement très spécifique.
            Donnons donc aux établissements de santé les moyens de gérer les IVG comme des urgences en vérifiant que le délai maximal de prise en charge est bien de 5 jours à compter de la demande faite par une femme d’interrompre sa grossesse. Ceci permettrait de faire diminuer notablement les dépassements de délai légal dont personne aujourd’hui ne connait avec certitude l’ampleur réelle, car personne ne l’a mesuré.

            Ce que les femmes demandent également, c’est de ne pas être enceinte quand elles ne le veulent pas. Même si la disponibilité de la contraception ne sera jamais à même d’éviter toutes les demandes d’IVG, la bonne pratique serait de donner accès à toutes les contraceptions de manière gratuite et ce pour toutes les femmes. Laisser un reste à charge pour la contraception alors qu’il n’y en a pas pour l’IVG constitue une aberration qui ne devrait pas perdurer (une grossesse sur 4 est interrompue en France actuellement).
            Enfin, le renforcement des mesures de prévention par l’information dans les écoles est désormais impérieux : il faut appliquer la loi du 4 novembre 2001 et vérifier que les séances d'information à la vie sexuelle et affective ont bien lieu dans tous les établissements scolaires de France. Le bénévolat en la matière a assez duré et l’aspect facultatif de ces informations introduit une inégalité de plus selon l’endroit où les jeunes femmes sont scolarisées.

            Améliorer le droit des femmes à décider de poursuivre (ou pas) une grossesse est un enjeu collectif largement plébiscité dans notre pays. Mettons réellement les moyens pour ce faire en allégeant le parcours de soins des femmes en demande d’IVG. L’allongement du délai légal est donc une mauvaise réponse à une bonne question.