(arrêt du 29 novembre 2017, Cour de cassation, 1ère ch. civ, n° 16-50061)
Selyan est né d’une gestation pour autrui (GPA) à Kiev (Ukraine), de M. X et Mme Y, tous deux de nationalité française. Les époux ont sollicité la transcription de l’acte de naissance de l’enfant sur les registres de l’état civil consulaire français. L’Ambassade de France à Kiev a sursis à la transcription et a avisé le Procureur de la République de Nantes, qui lui-même est demeuré dans l’attente d’instructions de la Chancellerie, si bien que les parents ont assigné le Procureur devant le Tribunal de grande instance de Nantes aux fins de voir ordonner la transcription de l’acte de naissance de Selyan sur les registres de l’état civil français. Un premier jugement a fait droit à la demande de transcription, le Procureur a interjeté appel, la Cour de Rennes a confirmé le jugement (arrêt du 12 décembre 2016).
Le Procureur a saisi la Cour de cassation qui vient, par un arrêt du 29 novembre 2017, de confirmer la transcription à l’égard du père, mais casse et annule l’arrêt de la Cour de Rennes en ce qu’il a ordonné la transcription en désignant Mme Y en qualité de mère, après avoir constaté qu’elle n’a pas accouché de l’enfant.
Cet arrêt permet quelques observations sur la reconnaissance de la filiation de l’enfant né d’une GPA à l’étranger :
La jurisprudence a longtemps considéré qu’il était contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public en application des articles 16-7 (Toute convention portant sur la procréation ou la gestion pour le compte d’autrui est nulle) et 16-9 (Les dispositions du présent chapitre sont d’ordre public) du code civil.
Lorsque la GPA a lieu à l’étranger et que les parents veulent revenir avec l’enfant en France, ils demandent une transcription de l’état civil étranger sur l’état civil français au Service central d’état civil (SCEC) à Nantes, qui met en œuvre alors l’article 47 du code civil : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »
La Cour de cassation s’est d’abord opposée à la transcription d’un acte de naissance d’un enfant né par GPA à l’étranger en utilisant la notion de « fraude à la loi » caractérisée par la réalisation d’une GPA dans un pays tiers où elle est autorisée. La Cour interdisait en conséquence à une convention de GPA de produire des effets, et l’acte de naissance étranger d’un enfant né d’une GPA ne pouvait être transcrit à l’état civil français, même si le père et la mère figurant sur l’acte étaient bien le père biologique et la femme ayant accouché (par opposition à la mère dite d’intention).
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, arrêts Menesson et Labassée, 26 juin 2014) a jugé que l’interdiction de la GPA n’est pas contraire à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et que le refus de transcrire un acte de naissance établi à l’étranger au motif que cette naissance est le fruit d’une GPA est compatible avec le droit au respect de la vie familiale. En revanche, la CEDH a considéré que le refus de transcrire la filiation des enfants à l’égard du père biologique, telle qu’elle apparait sur l’acte étranger, constitue une atteinte disproportionnée à la vie privée des enfants, vie privée protégée par l’article 8 de la Convention : chacun doit pouvoir établir les détails de son identité d’être humain, ce qui comprend sa filiation.
Par un revirement de jurisprudence très commenté, la Cour de cassation a donc, en assemblée plénière du 3 juillet 2015, écarté la théorie de la fraude faisant échec à la transcription de l’acte de naissance et a cassé l’arrêt qui écartait la demande de transcription au seul motif que la naissance était l’aboutissement d’un processus comportant une convention de GPA. Mais les cas tranchés ne concernaient pas des parents d’intention.
La France a de nouveau été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 21 juillet 2016), avant d’opérer une reconnaissance partielle de la filiation de l’enfant né de GPA. Par cinq arrêts du 5 juillet 2017 (n° 824 à 828) : la filiation paternelle des enfants nés de GPA a été reconnue, mais les arrêts ont refusé la filiation maternelle.
Pour la filiation paternelle : dans les arrêts du 5 juillet 2017 comme dans celui du 29 novembre, la Cour de cassation retient que la convention de gestation pour autrui conclue à l’étranger ne fait pas obstacle à la transcription de l’acte à l’état civil français dès lors que l’acte de naissance n’est ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité, s’agissant de la désignation du père.
En revanche, pour la filiation maternelle : il est retenu que « la réalité » de l’article 47 du code civil doit être la réalité de l’accouchement, seul critère de la maternité. Il reste à la mère d’intention la possibilité d’adopter l’enfant de son conjoint.
En 2018 doivent se tenir les états généraux de la bioéthique, confiés par le législateur au Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE), préalablement à la révision de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique. Dans son dernier avis n° 126 du 15 juin 2017, le CCNE a conclu ses travaux par les recommandations ci-après concernant la GPA :
- « Le CCNE est favorable à l’élaboration d’une convention internationale pour l’interdiction de la GPA et particulièrement attaché à l’effort diplomatique ; dans le même sens que le rapport d’information concernant la GPA remis à la Présidence du Sénat du 17 février 2016, il recommande l’engagement de négociations internationales, multilatérales.
- Concernant la reconnaissance de la filiation d’un enfant né par GPA à l’étranger, lorsqu’est établie par un état civil probant une filiation biologique avec au moins l’un des parents français, le CCNE soutient le choix de la délégation d’autorité parentale en faveur du parent d’intention n’ayant pas de lien biologique avec l’enfant, car elle respecte la réalité des conditions de sa naissance.
- Il recommande, dans les cas de suspicion concernant la réalité de la filiation biologique d’un enfant né par GPA à l’étranger, que puisse être réalisée une vérification de la filiation génétique par un test ADN avant la transcription d’état civil étranger en état civil français de l’enfant, pour vérifier qu’il existe un lien biologique avec au moins l’un des parents d’intention. Le résultat et la situation devraient être soumis à examen. Au cas où se confirmerait un soupçon de trafic d’enfant, ce dernier pourrait être confié à des fins d’adoption.
- Il recommande par ailleurs que l’état civil des enfants garde la trace et le nom de tous les intervenants à la convention de gestation et que les enfants aient accès au contrat qui a permis leur naissance, aux fins de pouvoir « construire leur identité » et reconstituer l’ensemble de leur histoire. »
Par une note d’information du 29 novembre 2017, le Ministère des solidarités et de la santé a invité les agences régionales de santé, les CHU et les espaces de réflexion éthique régionaux et interrégionaux à participer à la mise en œuvre des espaces de réflexion, concomitants des travaux d’élaboration du projet de loi.