AMP, le Conseil d’Etat confirme : 59 ans pour les hommes

(arrêts du 17 avril 2019, Conseil d’Etat, 10ème et 9ème chambres réunies, n° 420468 et 9)

   En juin 2018, j’avais commenté (cf. site Gyneco-online, rubrique juridique, juin 2018) les deux arrêts rendus le 5 mars 2018, par la Cour administrative d’appel de Versailles approuvant les décisions de l’Agence de la biomédecine fixant à 59 ans l’âge maximal pour que l’homme procrée au sens et pour l’application de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation (AMP).
Les deux couples concernés ont saisi le Conseil d’Etat de pourvois à l’encontre des deux arrêts de la Cour de Versailles.
Dans les deux affaires, les requérants souhaitaient, en raison d’une infertilité pathologique médicalement diagnostiquée, utiliser les gamètes congelés de l’homme (recueillis en France dans le cadre d’une préservation de la fertilité) aux fins d’une assistance médicale à la procréation à l’étranger. Ils avaient donc déposé une demande d’autorisation d’exportation de gamètes congelés auprès de l’Agence de la biomédecine, laquelle avait rejeté les deux demandes au motif que les deux hommes, respectivement âgés de 67 et 68 ans, ne pouvaient être regardés comme étant en âge de procréer au sens de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique.
Par arrêts du 17 avril 2019, le Conseil d’Etat a validé la légalité de ces deux refus d’autorisation d’exportation de gamètes fondés sur l’âge des pères.
L’article L. 2141-2 du code de la santé publique fait figurer, au nombre des conditions requises pour pouvoir bénéficier d’une technique d’assistance médicale à la procréation (AMP) celle tenant à ce que l’homme et la femme formant le couple soient, l’un comme l’autre, encore en « âge de procréer ».
Le Conseil d’Etat mentionne, dans ses deux arrêts :
« 4. Il résulte des dispositions de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, citées au point 2, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal dont elles sont issues, que le législateur a subordonné, pour des motifs d’intérêt général, le recours à une technique d’assistance médicale à la procréation à la condition que la femme et l’homme formant le couple soient en âge de procréer. En ce qui concerne l’homme du couple, la condition relative à l’âge de procréer, qui revêt, pour le législateur, une dimension à la fois biologique et sociale, est justifiée par des considérations tenant à l’intérêt de l’enfant, à l’efficacité des techniques mises en œuvre et aux limites dans lesquelles la solidarité nationale doit prendre en charge le traitement médical de l’infertilité.

5. Pour déterminer l’âge de procréer d’un homme, au sens et pour l’application de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique précité, il y a lieu de se fonder, s’agissant de sa dimension strictement biologique, sur l’âge de l’intéressé à la date du recueil des gamètes et, s’agissant de sa dimension sociale, sur l’âge de celui-ci à la date du projet d’assistance médicale à la procréation. En se fondant, pour apprécier, du point de vue biologique, la limite d’âge de procréer, sur l’âge auquel le requérant a sollicité l’autorisation de transfert de ses gamètes et non sur celui qu’il avait à la date à laquelle il a été procédé à leur recueil, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’erreur de droit.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. et Mme C. sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt qu’ils attaquent.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme C. souffrent d’une infertilité pathologique médicalement diagnostiquée. Afin de permettre le recours à une assistance médicale à la procréation, ils ont présenté une demande d’autorisation d’exportation des gamètes congelés de M. C., recueillis entre 2008 et 2010 préalablement à l’altération de sa fertilité. Cette autorisation leur a été refusée par une décision du 24 juin 2016 de l’Agence de la biomédecine au motif que M. C. ne pouvait être regardé comme étant encore en âge de procréer au sens de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique.

9. Il ressort également des pièces du dossier, en particulier de l’avis rendu, le 8 juin 2017, par le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, qui se fonde sur plusieurs études médicales, avis et recommandations formulés par des acteurs du secteur de l’assistance médicale à la procréation, qu’il existe une corrélation entre l’âge du donneur lors du prélèvement du gamète et le niveau des risques de développement embryonnaire, ainsi que des risques sur la grossesse et la santé du futur enfant. Il apparaît ainsi que le taux d’anomalies à la naissance et le risque de maladies génétiques augmentent avec l’âge du père. Dans ces conditions et alors même que le vieillissement n’entraîne pas systématiquement chez l’homme un arrêt du fonctionnement gonadique, l’Agence de la biomédecine a pu légalement fixer, compte tenu du large consensus existant dans la communauté scientifique et médicale, à 59 ans révolus, en principe, l’âge de procréer au sens et pour l’application de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique.

10. Dès lors qu’il est constant que M. C. était âgé de 61 et 63 ans à la date des prélèvements de ses gamètes, et en l’absence de circonstances particulières, l’Agence de la biomédecine est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé sa décision du 24 juin 2016 au motif que M. C. ne pouvait pas être regardé comme n’étant plus en âge de procréer au sens de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique.

11. Il appartient toutefois au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par les requérants devant le tribunal administratif de Montreuil. […]

13. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que, compte tenu de son âge au moment du prélèvement de ses gamètes par rapport à la limite d’âge fixée en principe à 59 ans sur la base du large consensus existant dans la communauté scientifique et médicale, eu égard aux risques évoqués au point 9 d’anomalies à la naissance et de maladies génétiques, le refus d’exportation de gamètes opposé à M. C., sur le fondement des dispositions législatives précitées de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, ne peut être regardé, eu égard aux finalités d’intérêt général que ces dispositions poursuivent et en l’absence de circonstances particulières propres au cas d’espèce, comme constituant une ingérence excessive dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

14. Enfin, la mise en œuvre de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique ne peut être regardée comme instaurant une discrimination dans l’exercice des droits protégés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales entre des hommes du même âge prohibée par l’article 14 de cette convention, dès lors que ceux-ci sont placés dans une situation différente selon qu’ils procréent naturellement ou ont recours à une assistance médicale à la procréation.

15. Il résulte de tout ce qui précède que l’Agence de la biomédecine est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a annulé sa décision du 24 juin 2016 qui est suffisamment motivée. »

   Il convient de souligner qu’il existe néanmoins, dans les milieux professionnels concernés, une sérieuse contestation de ce qui est pris en considération comme étant un large consensus existant dans la communauté scientifique et médicale, tel qu’apprécié par l’Agence de la biomédecine.

Le contrôle de l’âge du demandeur conduit en l’état à une double vérification :

  • biologique : l’âge des gamètes apprécié à la date du recueil,
  • sociale : l’âge du futur père apprécié à la date du projet d’AMP.

   Dans un communiqué, l’Agence de la biomédecine a déclaré que ces critères valent pour elle-même dans le cadre de l’examen des demandes d’autorisation d’exportation, mais également pour les équipes saisies d’une demande d’un couple aux fins de bénéficier des techniques d’AMP. Les deux arrêts ne se prononcent pas sur l’âge social, la question ne se posant pas dans les affaires concernées.

Réforme de la loi Bioéthique en cours :
   L’Assemblée Nationale a adopté, en première lecture, le 15 octobre 2019, le projet de Loi relative à la Bioéthique, qui fait actuellement l’objet de travaux en Commission spéciale au Sénat, laquelle a procédé à diverses auditions. La discussion en séance publique reprendra du 21 au 30 janvier puis le 4 février 2020.
Le nouvel article L. 2141-2 issu du vote par l’Assemblée Nationale renvoie les conditions d’âge requises pour bénéficier d’une AMP à un décret en Conseil d’Etat, après avis de l’Agence de la biomédecine, devant prendre en compte « les risques médicaux de la procréation liés à l’âge ainsi que l’intérêt de l’enfant à naître ».
Au titre des amendements déjà présentés devant la Commission spéciale du Sénat, Mme Muriel Jourda, rapporteur (sénatrice du Morbihan, membre du groupe Les Républicains), propose de remplacer le décret en Conseil d’Etat prévu par l’Assemblée Nationale (article 1er du projet de Loi), par « des conditions d’âge encadrées par une recommandation de bonnes pratiques fixées par arrêté du ministre en charge de la santé après avis de l’Agence de la biomédecine ».
Il est à redouter qu’en conséquence des couples, constitués d’au moins un homme âgé de plus de 59 ans, continueront à aller à l’étranger pour diligenter une assistance médicale à la procréation, dès lors qu’ils ne seront plus recevables à le faire en France. Certains considèrent que cette limite d’âge constitue une entrave illégitime, une discrimination, non fondée sur l’intérêt supérieur du couple et de l’enfant à naître.
La question se pose du principe même d’instituer une limite d’âge versus l’autonomie de l’individu, l’intérêt de l’enfant à venir, dans une démarche éclairée par l’équipe médicale communiquant une information adaptée sur le bénéfice/risque et titulaire du droit prévu à l’article R. 4127-8 du CSP qui permet à tout médecin, compte tenu des données acquises de la science, de définir en toute indépendance « les prescriptions qu’il estime les plus appropriées en la circonstance », ce qui ne conduit pas nécessairement à satisfaire toutes demandes mais bien au contraire à en évaluer la pertinence et refuser le traitement s’il le considère opportun.
La convergence entre le droit aux soins et le principe d’égalité des citoyens devant la loi, deux notions à valeur constitutionnelle, ne serait-elle pas mieux assurée en prenant en considération le couple concerné, dans une situation appréciée dans le cadre d’une équipe pluridisciplinaire, plutôt que par l’application de normes abstraites tranchant par voie de décret ou d’arrêté lesdifférences d’appréciations sur le caractère strict ou relatif de la limite d’âge… Un sujet relevant de l’éthique qu’il serait urgent d’aborder devant le Parlement avant qu’il ne soit trop tard pour nombre de couples directement intéressés.

 
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