État de siège : peut-on ne pas travailler cul par-dessus tête ?

L’accouchement par voie basse en cas de présentation du siège a été l’objet de débats ces dernières années aussi bien dans les revues de langue anglaise que dans notre pays 1,2. Sa fréquence est estimée entre 3 à 4% des naissances.
Les recommandations des sociétés savantes de gynécologie obstétrique aux Etats Unis 3, en Grande Bretagne 4 et au Canada 5 sont équivalentes : elles laissent une évidente place à l’accouchement du siège par voie basse, toutes conditions réunies.

Toutes conditions réunies sous entend que

  • Que l’équipe périnatale soit formée à la pratique de l’accouchement par voie basse
  • Que l’équipe obstétricale se donne les moyens de sélectionner les femmes candidates à la voie basse selon des critères rigoureux.
  • Que la femme ait été loyalement informée et ait donné son accord à accoucher par voie basse

Les recommandations du Royal College 4, ici résumées et citées à titre d’exemple, ont le mérite d’être présentées en 2 temps : ce que les patientes doivent savoir, ce que les équipes périnatales doivent savoir de surcroit.
Les femmes doivent être informées de la balance bénéfice risque entre césarienne programmée et accouchement voie basse en cas de siège, pour la grossesse en cours et pour les grossesses ultérieures.

    • La césarienne programmée diminue le risque de mortalité néonatale et de morbidité néonatale comparée à l’accouchement par voie basse.
    • Il n’y a aucune différence significative concernant la morbidité à long terme des enfants en fonction qu’ils soient nés par voie basse ou par césarienne 6,7.
    • Les risques maternels liés à la césarienne sont plus élevés qu’en cas d’accouchement par voie basse 8,9.
    • Les femmes doivent être informées qu’il est imprudent d’éluder totalement les risques maternels et obstétricaux d’une politique de césarienne programmée systématique 10. (encadrés 1, 2 et 3)
  • Ce que les équipes obstétricales doivent savoir de surcroit 4
    • Toutes les femmes ne sont pas candidates à l’accouchement voie basse : la patiente doit être à terme, le fœtus doit être en siège décomplété, la position de la tête vérifiée à l’entrée en salle de travail doit être neutre, le poids foetal estimé entre 2000g et 3800g, l’examen clinique du bassin doit être normal.
    • L’accouchement voie basse du siège est exclu si : les femmes ont un utérus cicatriciel, si le travail est prématuré, s’il n’y a pas un obstétricien expérimenté présent sur place.
    • La radiopelvimétrie n’est pas indispensable
    • Le travail ne doit pas devoir être déclenché, il faut éviter l’administration d’ocytociques, l’épreuve de travail doit être « brillante », la grande extraction ne doit pas être systématique, les manœuvres de Lovset et Mauriceau sont standard dans la pratique de l’accouchement du siège par voie basse, la pression suspubienne de la tête fœtale par un aide au moment du dégagement de celle ci doit être systématique.

Sur le papier, ces recommandations semblent évidentes et de bon sens, encore faut il se donner les moyens de sa mise en œuvre.
D’abord que l’équipe soit formée à la pratique du siège par voie basse : cela ne coule pas de source, malheureusement. En France, ce sont les CHU qui ont l’entière responsabilité de la formation des praticiens des spécialités de périnatalogie. Depuis la publication de l’essai de Hannah sur les sièges, certains CHU ont versé sans vergogne vers le tout césarienne 11, ce qui bien entendu, a mis un coup d’arrêt définitif à la formation des plus jeunes par les plus anciens…désormais les internes et chef de clinique ayant une très maigre expérience de l’accouchement du siège par voie basse sont légion. Aujourd’hui il ne saurait leur être reproché de faire des césariennes systématiques en cas de siège, ils ne savent pas faire autrement. Et bientôt, la pression judiciaire aidant, ils feront des césariennes systématiques sur les jumeaux, on ne sait jamais que le deuxième fœtus se présente par le siège en effet !
Demain, il ne saurait leur être reproché de ne pas pouvoir former les plus jeunes qu’eux…

Ensuite que l’équipe se donne les moyens de sélectionner les patientes candidates à la voie basse en cas de siège : cela sous entend l’existence de staffs, où la parole des uns et des autres soit respectée et les actions décidées mises en œuvre. Là encore, la disponibilité d’échographistes qualifiés, d’anesthésistes formés à l’obstétrique, de pédiatres aguerris aux manœuvres de réanimation doivent être un engagement sans faille. Chaque équipe doit rédiger un protocole de sélection des patientes candidates à l’accouchement par voie basse et celles qui en sont exclues, de même le protocole de l’exécution de l’épreuve de travail doit être précisé et respecté 12,13.

Enfin, que la femme ait donné son accord après une information loyale : l’information loyale ne peut être délivrée que par des praticiens évoluant dans un espace professionnel sécurisé : un espace où les recommandations et les critères soient disponibles et scrupuleusement respectés, un espace où les guerres de pouvoir et d’égo doivent pouvoir être discutées ailleurs que « sur le dos » des patientes.

Conclusions

Accoucher les femmes par voie basse de leur siège reste une pratique obstétricale sécure aujourd’hui 15,16,17,18,19,20,21.
Ceux qui savent le faire, ne doivent se laisser impressionner par des discours « tout sécuritaire » : les études démontrent clairement que la césarienne n’est pas dénuée d’excès de risque, immédiat et surtout sur le long terme, en particulier pour la mère. 22,23,24
Ce qui ne savent pas faire ne doivent pas se laisser impressionner par les premiers :  il ne saurait être reproché à qui que se soit de refuser de poser un acte qu’il ne domine pas sur le plan technique. Les études démontrent en effet que les accouchements du siège peuvent augmenter la mortalité en particulier néonatale 25.
Pour autant, il faudrait peut être songer à utiliser les obstétriciens qui accouchent volontiers les sièges par voie basse à former ceux qui n’ont pas eu accès à ces pratiques, d’abord parce que toutes études démontrent que 10 % des césariennes programmées pour siège accouchent finalement par voie basse, et surtout parce que l’accouchement du 2 éme jumeau par le siège peut être difficile, il n’est donc pas interdit de savoir faire pour pouvoir encore accoucher les jumeaux par voie basse.

Bibliographie :

  1. Goffinet F, Blondel B, Breart G. Breech presentation: questions raised by the controlled trial by Hannah et al. on systematic use of cesarean section for breach presentations. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris) 2001;30:187-90.
  2. Hauth JC, Cunningham FG. Vaginal breech delivery is still justified. Obstet Gynecol 2002;99:1115-6.
  3. www.sogc.org/index_f.asp
  4. www.rcog.org.uk/
  5. www.figo.org/
  6. Sorensen HT, Steffensen FH, Olsen J, et al. Long-term follow-up of cognitive outcome after breech presentation at birth. Epidemiology 1999;10:554-6.
  7. Whyte H, Hannah ME, Saigal S, et al. Outcomes of children at 2 years after planned cesarean birth versus planned vaginal birth for breech presentation at term: the International Randomized Term Breech Trial. Am J Obstet Gynecol 2004;191:864-71.
  8. Subtil D, Vaast P, Dufour P, Depret-Mosser S, Codaccioni X, Puech F. [Maternal consequences of cesarean as related to vaginal delivery]. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris) 2000;29:10-6.
  9. Wen SW, Rusen ID, Walker M, et al. Comparison of maternal mortality and morbidity between trial of labor and elective cesarean section among women with previous cesarean delivery. Am J Obstet Gynecol 2004;191:1263-9.
  10. Yang Q, Wen SW, Oppenheimer L, et al. Association of caesarean delivery for first birth with placenta praevia and placental abruption in second pregnancy. Bjog 2007;114:609-13.
  11. Vendittelli F, Riviere O, Pons JC, Mamelle N. [Breech presentation at term: evolution of French practices and an analysis of neonatal results in regards to obstetrical management of breech presentation, from AUDIPOG Database]. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris) 2002;31:261-72.
  12. Voie d'accouchement en cas de présentation du siège : la position du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français Journal de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la Reproduction, Vol 30, N° 2  - mars 2001, p. 191
  13. 13.Kayem G, Goffinet F, Clement D, Hessabi M, Cabrol D. Breech presentation at term: morbidity and mortality according to the type of delivery at Port Royal Maternity hospital from 1993 through 1999. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol 2002;102:137-42.

  14. Vaginal delivery of breech presentation.
  15. Kotaska A, Menticoglou S, Gagnon R, Farine D, Basso M, Bos H, Delisle MF, Grabowska K, Hudon L, Mundle W, Murphy-Kaulbeck L, Ouellet A, Pressey T, Roggensack A; Maternal Fetal Medicine Committee; Society of Obstetricians and Gynaecologists of Canada. J Obstet Gynaecol Can. 2009 Jun;31(6):557-66, 567-78

  16. Recommandations pour la Pratique clinique : La césarienne: Collège National des Gynécologues et Obstériciens Français, 2000.
  17. Bartlett DJ, Okun NB, Byrne PJ, Watt JM, Piper MC. Early motor development of breech- and cephalic-presenting infants. Obstet Gynecol 2000;95:425-32.
  18. Liu S, Liston RM, Joseph KS, Heaman M, Sauve R, Kramer MS. Maternal mortality and severe morbidity associated with low-risk planned cesarean delivery versus planned vaginal delivery at term. Cmaj 2007;176:455-60.
  19. Nisenblat V, Barak S, Griness OB, Degani S, Ohel G, Gonen R. Maternal complications associated with multiple cesarean deliveries. Obstet Gynecol 2006;108:21-6.
  20. Smith GC, Pell JP, Dobbie R. Caesarean section and risk of unexplained stillbirth in subsequent pregnancy. Lancet 2003;362:1779-84.
  21. Goffinet F, Carayol M, Foidart JM, et al. Is planned vaginal delivery for breech presentation at term still an option? Results of an observational prospective survey in France and Belgium. Am J Obstet Gynecol 2006;194:1002-11.
  22. Golfier F, Vaudoyer F, Ecochard R, Champion F, Audra P, Raudrant D. Planned vaginal delivery versus elective caesarean section in singleton term breech presentation: a study of 1116 cases. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol 2001;98:186-92.
  23. Cabrol D, Goffinet F. Conduites à tenir en Obstétrique. In: gynécologie-obstétrique. CPe, ed. Paris: Masson, 2005.
  24. Danielian PJ, Wang J, Hall MH. Long-term outcome by method of delivery of fetuses in breech presentation at term: population based follow up. Bmj 1996;312:1451-3.
  25. Deneux-Tharaux C, Carmona E, Bouvier-Colle MH, Breart G. Postpartum maternal mortality and cesarean delivery. Obstet Gynecol 2006;108:541-8.
  26. Hannah ME, Hannah WJ, Hewson SA, Hodnett ED, Saigal S, Willan AR. Planned caesarean section versus planned vaginal birth for breech presentation at term: a randomised multicentre trial. Term Breech Trial Collaborative Group. Lancet 2000;356:1375-83.
Encadré 1

Morbidité et mortalité chirurgicales

  • Complications à la suite de la césarienne
  • 37 césariennes produisent un traumatisme opératoire de plus 159 césariennes produisent une infection de plus 156 césariennes produisent une réhospitalisation de plus
  • Complications lors de grossesses subséquentes
  • 444 césariennes causent un décollement placentaire de plus
  • 538 césariennes causent un placenta prævia de plus
  • 694 césariennes causent un placenta envahissant de plus

Source : Klein M. Presentation Family Medicine Forum (FMF) 2004. Toronto : Sheraton Centre Toronto, 25-27 novembre 2004.

Encadré 2

Risque pour le nouveau-né venu au monde par césarienne

  • Augmentation de la détresse respiratoire du nouveau-né : 35,5 contre 5,3 pour 1000 naissances vivantes 4
  • Tachypnée transitoire du nouveau-né : 1 cas de plus de tachypnée transitoire du nouveau-né pour 65 naissances par césarienne 4
  • Dans le contexte d’antécédents familiaux d’allergies, le risque d’intolérances alimentaires et de diarrhées augmente chez le nouveau-né 11
  • Risque de coupure accidentelle et de cicatrice pour le nouveau-ne

Sources : Hannah ME. Planned elective cesarean section: A reasonable choice for some women. CMAJ 2004 ; 170 (5) : 813-4. KoletzkoS.ArchivesofDiseaseinChildhood,citédans:MedicalPost; 2004 ; 40 (43).

Encadré 3

Avantages de la césarienne

  • Incontinence urinaire moins élevée à la suite d’une césarienne : ces études, pour la majorité, ne vont que jusqu’à trois mois après l’accouchement. Les études sur des populations importantes ne montrent qu’un très léger avantage du côté de la césarienne 4.
  • Incontinence fécale légèrement moins élevée à la suite d’une césarienne.
  • Fonction sexuelle moins affectée à la suite d’une césarienne : les études ne vont que jusqu’à trois mois après l’accouchement. Après six mois, l’avantage de la césarienne disparaît.
  • La césarienne comme solution de rechange à un cas de forceps difficile est un choix raisonnable du point de vue de la fonction sexuelle. Il n’est jamais trop tard pour une césarienne, quand elle est nécessaire !

Source : Klein M. Presentation Family Medicine Forum (FMF) 2004. Toronto : Sheraton Centre Toronto, 25-27 novembre 2004.

 
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