État des connaissances sur les risques de cancer du sein, de l’ovaire et de l’endomètre après stimulation(s) pour FIV

Introduction

En juillet 1978 naissait Louise Brown, le premier enfant issu de FIV. Depuis plus de 40 ans, la prévalence de l’infertilité augmente. La FIV s’est démocratisée pour répondre à ce problème. Le nombre d’enfants nés par FIV dans le monde aurait déjà atteint 8 millions. Quels sont à ce jour les risques à long terme des traitements pour FIV comme la survenue de cancers gynécologiques : cancer du sein, de l’endomètre, ou de l’ovaire ? La méthodologie est difficile puisque la survenue de ces cancers est un évènement rare, multifactoriel et de survenue tardive par rapport aux traitements de FIV. De nombreux facteurs sont à prendre en compte pour appréhender la littérature sur le sujet :

    • Le terrain : parité, infertilité (primaire ou secondaire, cause et son délai), antécédents familiaux ou personnels oncologiques, poids, tabagisme, âge de la ménarche, âge de la première grossesse, allaitement, antécédent de contraception hormonale.
    • La durée de suivi ou recul des études menées. Les cancers étudiés surviennent en moyenne après l’âge de 60 ans, soit à 20 ans au moins des traitements d’AMP (sauf les tumeurs borderline de l’ovaire qui surviennent plus tôt).
    • Les traitements reçus : gonadotrophines (et leurs doses), antagonistes de la GnRH, agonistes de la GnRH, estrogènes, progestérone forte dose

Les risques sont évalués grâce

    • A l’odds ratio, équivalent au risque relatif lorsque le nombre d’évènements est faible
    • Au hazard ratio qui inclue une dimension temporelle, lorsque la durée de suivi est différente selon les sujets
    • Au standardized incidence ratio, qui évalue le nombre de cancers observés sur le nombre de cancers attendus. Ce devrait être le critère privilégié mais il est rarement calculé.

Rôle du terrain

L’infertilité diminue le taux de survie, avec un risque relatif de décès augmenté de 32%, toute cause confondue, en cas d’infertilité, (1), comme l’a montré Murugappan et son équipe en 2021, sur une étude de cohorte de 3 845 790 femmes non infertiles comparées à 72 786 femmes infertiles (schéma 1). La même équipe avait mis en évidence en 2019, sur une étude de cohorte, une augmentation de l’incidence des cancers de l’utérus, des ovaires mais aussi des poumons, de la thyroïde et des leucémies, avec un hazard ratio ajusté sur l’âge, l’obésité, le tabac, le milieu socio-professionnel et l’ethnie (2).

Schéma 1 : survie globale, issue de l’étude de Murugappan 2021

Certaines étiologies de l’infertilité, comme l’endométriose pourrait être associées à un risque accru de cancer de l’ovaire et de la thyroïde, avec relativement un SSR (summary relative risk) à 1.93 (95% CI : 1.68-2.22) pour la thyroïde et un SSR à 1.39 (95% CI : 1.24-1.57) pour l’ovaire, comme l’a évoqué une métanalyse récente regroupant 38 études (3).

De plus, très récemment, une étude finlandaise menée sur registres a dévoilé un surrisque de cancer chez les patientes présentant une insuffisance ovarienne prématurée (n=5 221, insuffisance ovarienne diagnostiquée avant 40 ans) versus 20 822 témoins, avec un odds ratio de 36.5 (95% CI  30.9-40.3) (4). Ces données nous poussent à penser que le terrain des femmes infertiles joue un rôle majeur dans l’exposition aux cancers gynécologiques.

Cancer du sein et FIV

Le cancer du sein est une affection fréquente, touchant environ une femme sur 9. L’âge moyen au diagnostic en France est de 64 ans (5). En 2019, une étude suédoise menée sur registres, avec 2 882 847 femmes dont 117 500 présentant une infertilité, ne montrait pas de surrisque de cancer du sein, avec un risque relatif à 0.96 (95% CI: 0.92-1.01) (6).

Une méta-analyse récente publiée en 2022, incluant 617 479 patientes grâce à 25 études rétrospectives, n’a pas montré de surrisque de cancer du sein chez les patientes ayant bénéficié d’une (ou plusieurs) FIV, même à rang élevé de FIV (OR 0,97 (0,90-1,04) (7).

Afin de s’affranchir du biais du terrain, une étude s’est intéressée à la survenue de cancer du sein chez les patientes infertiles, en distinguant les patientes ayant bénéficié d’une FIV, des patientes ayant bénéficié de traitements comme l’induction de stimulation (8 et 9), ne montrant aucune différence significative.

A noter, une étude menée sur registres danois, publiée en 2021 a mis en évidence un léger surrisque de cancer du sein chez les patientes infertiles bénéficiant d’une FIV (n = 61 579 versus n = 579 760 témoins) lorsque l’âge est supérieur à 40 ans (10).

Cancer de l’endomètre et FIV

Le cancer de l’endomètre est un évènement rare, dont les facteurs de risques sont principalement le surpoids et l’obésité, les antécédents familiaux, le diabète, l’exposition au Tamoxifène. L’âge moyen au diagnostic en France est de 68 ans (5).

Une étude sur registres suédois a mis en évidence un risque surélevé de cancer de l’endomètre chez les patientes infertiles (RR augmenté : 1.25 (95% CI: 1.11-1.40)), surtout si la cause de l’infertilité est une anovulation (6). De même, les patientes présentant un syndrome des ovaires polykystiques et un endomètre supérieur à 7mm, présentent un surrisque de 8,7% (11).

La majorité des études, regroupées par une méta-analyse de la Cochrane, se sont intéressées aux patientes ayant bénéficié d’induction de l’ovulation (citrate de clomiphène) (12). Il y a peu de données sur l’exposition spécifique à la FIV, sauf celles d’une étude anglaise menée sur registres, qui n’a pas mis en évidence de corrélation entre le nombre de cycles stimulés en vue d’une FIV et le risque de cancer de l’endomètre (13).

Cancer des ovaires et FIV

Le cancer de l’ovaire est une pathologie rare, il représente 3,6% des cancers (14), et souvent de mauvais pronostic. L’âge moyen au diagnostic est de 65 ans en France (5). A noter, les tumeurs ovariennes borderline surviennent à un âge moyen plus jeune et sont classiquement de meilleur pronostic.

Les facteurs de risque sont classiquement la nulliparité, la ménarche précoce, la ménopause tardive et l’antécédent familial au premier degré de cancer de l’ovaire (avec ou sans mutation comme BRCA 1 ou 2).

Une importante étude suédoise de cohorte, menée sur registres, s’est intéressée aux femmes ayant accouché d’un premier enfant entre 1982 et 2012 (n =1,340,097). Cette étude a mis en évidence que les femmes dont la grossesse avait été obtenue par AMP présentaient un surrisque de cancer de l’ovaire avec un adjusted hazard ratio [aHR] de 2.43 (95% CI : 1.73-3.42) et de borderline avec un aHR à 1.91, (95% CI 1.27-2.86). Ce surrisque ne serait pas augmenté par le nombre de cycles de FIV (6).

Ces donnés ont été également retrouvées par une méta-analyse publiée 2020, regroupant 9 études, avec au total 10 383 patientes ayant développé un cancer de l’ovaire, et 6 278 830 témoins, un suivi compris entre 4 et 45 ans . En effet, ces données ont mis en évidence un risque relatif de cancer de l’ovaire à 1.51 (95% CI: 1.35-1.69) chez les femmes « infertiles », par rapport aux femmes, ainsi qu’un risque relatif franchement supérieur pour les tumeurs borderline RR : 3.3 (95%CI: 1.24-8.79) (15).

Conclusion

En conclusion, Il est important de noter que le processus de FIV en lui-même n'est pas considéré comme un facteur de risque majeur de cancer gynécologique, qu’il s’agisse du cancer du sein, de l’endomètre ou de l’ovaire. Néanmoins, du fait du terrain (femme infertile, nulliparité, 1ère grossesse tardive) et de fait de l’absence de suivi prolongé, des études prospectives sur le long terme seraient nécessaires. En pratique, un dépistage du cancer du sein par une échographie/mammographie avant traitement pour FIV peut être proposé, dès 40 ans mais peut-être dès 35 ans, pour rassurer patientes et praticiens.

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1: Murugappan G, Association between infertility and all-cause mortality:

analysis of US claims data, Am J Obstet Gynecol 2021

2: Murugappan G, Risk of cancer in infertile women: analysis of US claims data, Hum Reprod. 2019

3: Kvaskof M, Endometriosis and cancer : a systematic review and meta-analysis, Hum Reprod update, 2021

4: Silven H, Previous cancers in women diagnosed with premature ovarian insufficiency: A nationwide population-based case–control study, Acta Obstet Gynecol Scand, 2024

5 :Institut NationaL du Cancer : https://www.e-cancer.fr/Patients-et-proches/Les-cancers

6: Lundberg F, The risk of breast and gynecological cancer in women with a diagnosis of infertility: a nationwide population-based study, Eur J Epidemiol, 2019

7: Cullinane C, Fertility treatment and breast-cancer incidence: meta-analysis, BJS open :2022 

8: Van Den Belt Dusebout AW, Ovarian Stimulation for in Vitro Fertilization and Long-term Risk of Breast Cancer, JAMA 2016 ; 316 (3) 300-312

9: Brami C, Stimulation de l’ovulation pour traitement de fécondation in vitro (FIV) et risque à moyen et long terme de cancer du sein, Gyneco-Online

10: Vassard D, Assisted reproductive technology treatment and risk of breast cancer: a population-based cohort study, Hum Reprod, 2021

11: Indhavivadhana S, Endometrial neoplasia in reproductive-aged Thai women with polycystic ovary syndrome Int J Gynecol Obstet. 2018

12: Skalkidou A, Risk of endometrial cancer in women treated with ovary-stimulating drugs for subfertility, Cochrane Database Syst Rev, 2017.

13: Williams C, Risks of ovarian , breast, and corpus uteri cancer in women treated with assisted reproductive technology in Great Britain, 1991-2010 : data linkage study including 2.2 million person years of observation, Br Med J, 2018.

14: Ferlay J, Cancer incidence and mortality worldwide: sources, methods and major patterns in GLOBOCAN 2012, Int J Cancer, 2015

15: Jiang, Infertility and ovarian cancer risk: Evidence from nine prospective cohort studies, Int J Cancer, 2020