Le suicide maternel : l’affaire de tous !

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La période périnatale, allant de la grossesse aux un voir deux ans de l’enfant, est une période de bouleversements majeurs, biologiques, sociaux et émotionnels conduisant à une vulnérabilité au regard des pathologies psychiatriques. Ainsi, l’Enquête Nationale Périnatale 2021, portée par Santé Publique France et l’équipe INSERM EPOPé, retrouve que 16,7% des femmes accouchées en France métropolitaine au printemps 2021 présentaient une dépression du post-partum, 27,6% une anxiété significative à 2 mois de l’accouchement et 5,4% avaient présentées des idées suicidaires dans la semaine précédant l’évaluation (Doncarli, Tebeka, et al. 2023). Si, les troubles psychiatriques périnataux sont décrits depuis Hippocrate, le suicide maternel a longtemps été dénié.

Pourtant, les derniers chiffres français, issus de l’Enquête Nationale Confidentielle sur les Morts Maternelles (ENCMM) 2013-2015, soulignent que le suicide représente la 1ère cause connue de mortalité maternelle en période périnatale, avec environ un suicide maternel par mois, en France (Vacheron et al. 2021). Cela corrobore des données internationales plus anciennes : dans les pays ayant mis en œuvre des méthodologies superposables de repérage des morts maternelles, le suicide maternel est depuis plusieurs décennies décrit comme une cause majeure de décès maternels, correspondant à 1,4 et 5 femmes suicidées en période périnatale pour 100 000 nouveau-nés vivants (Palladino et al. 2011; Esscher et al. 2016; Chin et al. 2022). De façon notable, ces chiffres restent stables depuis plusieurs dizaines d’années, alors que la mortalité maternelle tend à diminuer.

Les suicides maternels surviennent majoritairement en post-partum, y compris en post-partum tardif, c’est-à-dire après les deux premiers mois de l’enfant. Les moyens létaux mis en œuvre sont violents : si les intoxications médicamenteuses volontaires sont les plus fréquentes chez les femmes, en période périnatale il s’agit de pendaison ou de précipitation / défenestration.

En France, comme à l’étranger, on retrouve certains facteurs de risque de suicide maternel, tels que la précarité, l’isolement, des évènements de vie douloureux, des antécédents psychiatriques, et des complications obstétricales (Doncarli, Gorza, et al. 2023). En particulier, un antécédent de passage à l’acte auto-agressif récent doit particulièrement alerter. Il s’agit de déterminants partagés avec la majorité des troubles psychiatriques.

De façon notable, l’ENCMM met en évidence que 91% des suicides maternels seraient évitables. Cela tient à des soins non optimaux : un défaut ou retard diagnostique, des traitements inadéquats et un défaut d’organisation des soins avec un manque de coordination entre les soins de santé mentale et les soins périnataux.

Ces données Françaises, venant réaffirmer des données internationales, soulignent l’importance des politiques de prévention en période périnatale. Elles reposent, entre autres, sur le dépistage et un repérage précoce des femmes à risque par les professionnels de première ligne : sage-femmes, gynécologues, obstétriciens, puéricultrices, pédiatres, personnels des PMI etc. Pour cela, l’entretien prénatal précoce est entrée en vigueur à l’été 2020 : il a pour but de rentrer les futurs parents pour évaluer leurs facteurs de vulnérabilité, et organiser au mieux les soins périnataux en fonction de leurs besoins. En juillet 2022, l’entretien post-natal a été instauré : son objectif est une évaluation au cours du 2ème mois de vie de l’enfant de l’état psychique maternel, au moment où est décrit le pic de survenu de la dépression du post-partum.

Il apparait également indispensable d’améliorer la communication entre les professionnels: à la fois les professionnels de la maternité et ceux travaillant en ambulatoire, mais également les professionnels de la santé mentale et ceux en charge de la période périnatale. En ce sens, les staffs médico-psychologiques ont été renforcés au sein des maternités, avec l’enjeu de mieux identifier les situations vulnérables, d’améliorer la communication ville-hôpital, de de travailler de façon multidisciplinaire. Cela doit permettre des parcours de soins coordonnées, partagés par les différents intervenants du réseau de soins.

Ainsi, si la période périnatale constitue un vrai moment de vulnérabilité, il s’agit également d’une fenêtre d’opportunité pour mieux repérer et accompagner des femmes et des familles particulièrement fragiles.

 

Bibliographie

Chin, Kathleen, Amelia Wendt, Ian M. Bennett, et Amritha Bhat. 2022. « Suicide and Maternal Mortality ». Current Psychiatry Reports 24 (4): 23975. https://doi.org/10.1007/s11920-022-01334-3.

Doncarli, A, M Gorza, E Gomes, Thierry Cardoso, M.-N. Vacheron, N Regnault, et S. Tebeka. 2023. « Perinatal suicide: Recent epidemiological data and prevention strategies ». Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire. mars 2023. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/3-4/2023_3-4_4.html.

Doncarli, A, S Tebeka, Virginie Demiguel, Elodie Lebreton, Deneux-Tharaux, J. Boudet-Berquier, Gisele Apter, et al. 2023. « Prévalence de la dépression, de l’anxiété et des idées suicidaires à deux mois post-partum : données de l’Enquête nationale périnatale 2021 en France hexagonale. », 2023, Bull Épidémiol Hebd. édition, sect. 18.

Esscher, Annika, Birgitta Essén, Eva Innala, Fotios C. Papadopoulos, Alkistis Skalkidou, Inger Sundström-Poromaa, et Ulf Högberg. 2016. « Suicides during Pregnancy and 1 Year Postpartum in Sweden, 1980-2007 ». The British Journal of Psychiatry: The Journal of Mental Science 208 (5): 46269. https://doi.org/10.1192/bjp.bp.114.161711.

Palladino, Christie Lancaster, Vijay Singh, Jacquelyn Campbell, Heather Flynn, et Katherine J. Gold. 2011. « Homicide and Suicide during the Perinatal Period: Findings from the National Violent Death Reporting System ». Obstetrics and Gynecology 118 (5): 105663. https://doi.org/10.1097/AOG.0b013e31823294da.

Vacheron, M.-N., V. Tessier, M. Rossignol, C. Deneux-Tharaux, et Comité National d’Experts sur la Mortalité Maternelle. 2021. « [Maternal deaths due to suicide in France 2013-2015] ». Gynecologie, Obstetrique, Fertilite & Senologie 49 (1): 3846. https://doi.org/10.1016/j.gofs.2020.11.008.