Propranolol et survie dans le cancer de l’ovaire

Le Docteur R. CAID-ESSEBSI rapporte :

Résultat spectaculaire d’une étude rétrospective américaine : les femmes atteintes d’un cancer de l’ovaire et traitées par bêta-bloquant lors de leur chimiothérapie, voient leur survie considérablement améliorée (1), précision importante, ce bénéfice est essentiellement observé avec les bêta-bloquants non cardiosélectifs.

Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, quoique de multiples travaux de biologie tendent à impliquer le système adrénergique dans le développement et le potentiel invasif des cancers de l’ovaire, les résultats cliniques n’étaient guère concluants jusqu’à présent : ils s’intéressent aux bêta-bloquants toutes catégories confondues, c’est à dire essentiellement les molécules cardiosélectives.

Dans un éditorial publié par la revue Cancer, les Docteurs Kristen P. BUNCH (Department of Defense américain) et Christina M. ANNUNZIATA (Department of Health and Human Services) soulignent que ce travail fourni « des preuves supplémentaires pour intensifier les efforts de recherche en faveur de l’utilisation des bêta-bloquants comme stratégie anticancéreuse ».
 

1- Données biologiques connues :

La relation entre système adrénergique et développement tumoral a été largement démontrée dans le cancer de l’ovaire. In vitro, l’expression des récepteurs adrénergiques a été montrée à la surface des cellules tumorales. Ces récepteurs, stimulés par des agonistes semblent impliqués dans la prolifération cellulaire.

Chez l’animal, par ailleurs, il a été montré que des facteurs favorisant l’extension des tumeurs, comme le VEGF, et diverses métalloprotéases, sont diminués par le propranolol.
 

2- Sur le plan clinique :

Des résultats suggérant un effet favorable des bêta-bloquants sur la survie ont bien été obtenus. Mais toutes les données ne sont pas cohérentes. Outre la petite taille des études, ces incohérences pourraient tenir à la sélectivité – ou non – des bêta-bloquants utilisés, à laquelle on aurait peu prêté attention.

« In vitro, les effets positifs des bêta-bloquants sur le cancer de l’ovaire, reposent sur le blocage des récepteurs bêta-2 adrénergiques » expliquent les auteurs. Or, les bêta-bloquants cardiosélectifs, qui limitent la vasoconstriction et sont donc largement les plus prescrits, se caractérisent précisément par une affinité beaucoup plus importante vis à vis des récepteurs bêta-1. Il est donc parfaitement possible que l’on soit passé jusqu’à présent à côté d’un effet favorable des bêta-bloquants, simplement parce que s’on s’est essentiellement intéressé aux bêta-bloquants sélectifs.

« Pour évaluer l’impact d’un blocage sélectif versus non sélectif du système adrénergique sur les survies des patientes, nous avons donc mené une étude rétrospective dans une cohorte de femmes prises en charge dans quatre Institutions (Anderson Cancer Center (HOUSTON), Washington University School of Medicine (SAINT LOUIS), Mayo Clinic (ROCHESTER) et Mercy Medical Center (BALTIMORE)) pour un cancer nouvellement diagnostiqué entre au niveau de l’ovaire ou des trompes de Fallope, ou un cancer primaire péritonéal (ces diagnostics sont regroupés sous l’intitulé du cancer épithélial de l’ovaire). »
 

3- Résultats :

L’analyse porte sur un total de 425 patientes, âgées de 63 ans en moyenne, et présentant un diagnostic histologiquement confirmé (90 % de stades III/IV), porté entre 2000 et 2010.

Parmi ces femmes, 269 suivaient un traitement documenté par bêta-bloquant durant la chimiothérapie adjuvante ou néoadjuvante. L’indication principale du traitement était l’HTA, mais certains traitements ont été prescrits en post-IDM, ou en raison d’arythmies.

Enfin, dans 71 % des cas (n = 193), la molécule prescrite était un bêta-bloquant bêta-1 sélectif.

Les survies sans progression n’étant pas disponibles dans tous les centres, c’est la survie globale qui a été retenue.

Chez les patientes traitées par bêta-bloquant (cardiosélectif ou non), la survie moyenne était de 47,8 mois contre 42 mois pour les femmes non traitées par bêta-bloquant (p = 0,036).

Chez les patientes traitées par bêta-bloquant non sélectif, la survie moyenne était de 94,9 mois, contre 38 mois chez les patientes traitées par bêta-bloquant bêta-1 sélectif (p < 0,001).

On note que la survie des patientes traitées par bêta-bloquant sélectif  (38 mois) n’était pas significativement différente de la survie des patientes non traités par bêta-bloquant (38 vs 42 mois : p = 0,196).

Les données ne sont pas ajustées. Toutefois, les auteurs soulignent qu’il est « particulièrement intéressant de constater que les utilisatrices de bêta-bloquants présentent dans cette étude, un stade de la maladie plus avancé, un IMC moyen plus élevé, et davantage d’HTA », et qu’alors que « ces facteurs sont associés à une moindre survie, les patientes sous bêta-bloquant avaient une survie équivalente ou prolongée (par rapport aux patientes non traitées par bêta-bloquant) ».

L’HTA par exemple était associée à une survie réduite dans tous les groupes. Or, en restreignant l’analyse aux patientes hypertendues, le bénéfice procuré par un bêta-bloquant non sélectif reste majeur : 90 vs 38,2 mois ; p < 0,0001.
 

Vers des essais prospectifs randomisés

Les auteurs admettent naturellement que la portée de leur étude est limitée par son caractère rétrospectif, ainsi que par l’absence de donnée sur la durée et la posologie des traitements par bêta-bloquant. Il reste que l’étude est multicentrique, que l’effectif est relativement important, et surtout que « le bénéfice associé à un traitement par bêta-bloquant durant la chimiothérapie, quelles que soient la dose et la durée de ce traitement, est prometteur ».

L’originalité de l’étude tient évidemment à la stratification selon la sélectivité des bêta-bloquants. « A notre connaissance, cette étude est la première à démontrer un bénéfice de survie en fonction de la sélectivité du bêta-bloquant » soulignent les auteurs, qui ajoutent que « la possibilité d’améliorer la survie des patientes atteintes de cancer de l’ovaire via le blocage du récepteur bêta-2 adrénergique, serait le point culminant d’années de recherches sur la biologie et la pathogénèse du cancer de l’ovaire ».

Les doses et les effets des bêta-bloquants étant déjà bien caractérisés dans l’HTA, l’utilisation de cette classe en cancérologie devrait être « relativement facile », estiment les auteurs, qui proposent que les études prospectives qui vont devoir être menées, comportent un screening des patientes, basé sur la recherche de l’expression des récepteurs adrénergiques  par les cellules tumorales.

Outre des effets attendus « sur l’angiogénèse, la croissance tumorale et les métastases », les bêta-bloquants pourraient avoir cet effet de « réduire la détresse psychologique chez les patients nouvellement diagnostiqués », notent-il encore.

Enfin, si dès aujourd’hui, deux essais sont encours pour évaluer l’adjonction de doses variables de propranolol à la chimiothérapie dans le cancer de l’ovaire, il ne s’agit encore que d’évaluer l’effet du bêta-bloquant sur la biologique de la tumeur et les marqueurs de stress chez des patientes nouvellement diagnostiquées.

« Les données de ces essais de faisabilité nous aiderons à concevoir des essais prospectifs randomisés de puissance suffisante pour déterminer si les bêta-bloquants peuvent améliorer le pronostic des patientes atteintes de cancer de l’ovaire. »

 

Références: 

1. WATKINS JL, THAKER PH, NICK AM et coll. : Clinical Impact of Selective and Nonselective Beta-Blockers on Survival in Patients With Ovarian Cancer – Cancer 2015 ; DOI : 10.1002/cncr.29392

2. BARRON TI, CONNOLLY RM, SHARP L et coll : Beta Blockers and Breast Cancer  Mortality : a population – based study – J. Clin. Oncol. 2011 Jul 1;29 (19) ; 2635-44 – Epub 2011 May 31

3. MELHEM-BERTRANDT A, CHAVEZ-MACGREGOR M, LEI X et coll. : Beta-blocker use in associated with improved relapse-free survival in patients with triple-negative breast cancer – J. Clin. Oncol. 2011 Jul 1;29 (19) ; 2645-52 – doi : 10/1200/JCO.2010.33.4441  – Epub 2011 May 31

4. LEMESHOW S, SORENSEN HT, PHILLIPS G et coll : â-Blockers and survival among Danish patients with malignant melanoma : a population-based cohort study – Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2011 – Oct ;20 (10) ; 2273-9 – doi : 10.1158/1055-9965 – EPI-11-0249. Epub 2011 Sep 20

5. SHAH SM, CAREY IM, OWEN CG, HARRIS T et coll. :  Does â-adrenoceptor blocker therapy improve cancer survival ? Findings form a population-based retrospective cohort study. Br J Clin Pharmacol. 2011 Jul;72 (1) : 157-61

6. GOMEZ DR, WANG HM, LIA ZX et coll. : Improved survival outcomes with the incidental use of beta-blockers among patients with non-small-cell lung cancer treated with definitive radiation therapy. Annals of oncology. Publication en ligne le 8 janvier 2013 

 
Les articles sont édités sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Les informations fournies sur www.gyneco-online.com sont destinées à améliorer, non à remplacer, la relation directe entre le patient (ou visiteur du site) et les professionnels de santé.