Comparaison de la mortalité périnatale et morbidité sévère des grossesses à terme à bas et haut risque aux Pays-Bas : une étude de cohorte prospective

Lecture critique de l’article : Annemieke CC Evers et al. Perinatal mortality and severe morbidity in low and high risk term pregnancies in the Netherlands: prospective cohort study. BMJ 2010;341:c5639.

Cette étude néerlandaise a pour but de comparer la mortalité périnatale et la morbidité néonatale sévère des grossesses à terme étiquetées à bas risque dont le suivi de grossesse et l’accouchement est intégralement pris en charge par des sages-femmes en centre de soins « primaires », que ce soit à domicile ou en milieu hospitalier, et des grossesses à haut risque prises en charge par des obstétriciens dans des unités de soin dédiées (centres de soins « secondaires »). Cette étude a été réalisée aux Pays-Bas, dans la région d’Utrecht. Toutes les grossesses prises en charge dans les alentours de l’unité de soins intensifs (USI) pédiatrique de niveau 3 du Centre Médical d’Utrecht ont été inclues dans cette étude. Cette unité prend en charge 13 % des nouveaux-nés des Pays-Bas nécessitant une hospitalisation en USI. Au total, ce sont 12 hôpitaux (1 hôpital universitaire, 8 hôpitaux non universitaires accueillant des étudiants et 4 hôpitaux généraux) et 56 cabinets de sages-femmes qui ont participé à l’étude. L’étude a été menée sur 2 ans, de Janvier 2007 à décembre 2008. Si l’inclusion des naissances a été faite de manière prospective, les données ont été recoupées rétrospectivement avec la banque de données périnatales des Pays-Bas.

Pendant la durée de l’étude, 37735 enfants non malformés sont nés à terme dans la zone géographique de l’étude : 16672 (44,2 %) enfants de femmes nullipares dont 143 (0,9 %) gémellaires et 21063 (55,8 %) enfants de femmes multipares dont 226 (1,1 %) gémellaires. Les données de 91 (0,2 %) nouveau-nés n’ont pas été récupérées et ces cas ont tous été exclus de l’étude. Au total, 18686 (49,5 %) de ces naissances ont été issues de grossesses étiquetées à bas risque (44,2 % de nullipares) et initialement prises en charge de manière exclusive par des sages-femmes et ayant démarré leur travail à domicile ou en centre de soin primaire. Parmi ces patientes, 5492 (29,4 %) ont été adressées en centre de soin « secondaire » pendant le travail. 18958 grossesses ont été considérées à haut risque (53,4 % de nullipares) et directement référées en centre « secondaire » pour être prises en charge par un obstétricien. Au final, 13194 (35 %) enfants sont nés sous la surveillance d’une sage-femme à domicile ou en centre de soin primaire et 24450 (64,8 %) sont nés sous la surveillance d’un obstétricien. Le taux de naissance par césarienne était de 5,7 % (2163 naissances). Le taux de mortalité périnatale observé était de 2,62/1000 naissances (Intervalle de Confiance (IC) à 95 % : 2,11-3,14). Le taux d’admission en USI pédiatrique était de 5,58/1000 naissances vivantes (IC à 95 % : 4,83-6,33).

Par rapport aux multipares, les nullipares avaient un risque significativement plus élevé de décès périnatal (Risque Relatif (RR) : 1,65 ; IC à 95 % : 1,11-2,45). Par rapport aux patientes considérées comme à haut risque et prises en charge en centre de soins « secondaires » sous la responsabilité d’un obstétricien, le risque de mort fœtale in utero survenant après 37 SA était significativement plus important pour les patientes à bas risque et initialement placées sous la responsabilité d’une sage-femme : 4 cas vs. 18, respectivement (RR : 4,03 ; IC à 95 % : 1,36-11,9). Ce risque était encore plus marqué pour les patientes initialement prises en charge par des sages-femmes et ayant dû être transférées en cours de travail dans un centre de soins « secondaire » (RR : 4,57 ; IC à 95 % : 1,29-16,2). Le risque de décès néonatal directement imputable à l’accouchement était significativement plus important pour les patientes ayant démarré leur travail sous la responsabilité d’une sage-femme en centre de soins « primaire » : 10 cas vs. 26, respectivement (RR : 2,33 ; IC à 95 % : 1,12-4,83). Ce risque était lui aussi encore plus marqué pour les patientes ayant dû être transférées en cours de travail vers un centre de soins « secondaire » (RR : 3,66 ; IC à 95 % : 1,58-8,46). On notera que ce risque n’était pas significativement différent lorsqu’on comparait les patientes à bas risque ayant finalement accouché sous la responsabilité d’une sage-femme et celles ayant accouché en centre de soins « secondaires » (RR : 1,78 ; IC à 95 % : 0,79-4). Enfin, le risque d’admission du nouveau-né en USI pédiatrique n’était pas significativement augmenté pour les grossesses initialement prises en charge par des sages-femmes en centre de soins primaires (RR : 1,05 ; IC à 95 % : 0,8-1,38) mais l’était pour celles ayant du être transférées en cours de travail (RR : 2,51 ; IC à 95 % : 1,87-3,37).

Avant de discuter cette étude, il est essentiel de rappeler le contexte de la prise en charge des grossesses aux Pays-Bas et de rappeler que le taux de mortalité périnatale dans ce pays est un des plus élevé d’Europe. C’est d’ailleurs pour cette raison que cette étude a été réalisée. Le but des auteurs était de mettre en évidence les raisons de la surmortalité de leurs nouveaux-nés pour permettre la mise en œuvre des moyens nécessaires à son abaissement. Actuellement, le principe de la prise en charge des grossesses au Pays bas repose sur l’évaluation initiale du contexte obstétrical et la classification des grossesses en bas ou haut risque. Les grossesses à bas risque seront référées pour leur suivi à une sage-femme qui prendra également en charge l’accouchement en centre de soins « primaire ». Il faut comprendre que ces centres de soins primaires peuvent désigner un accouchement à domicile ou un accouchement en milieu hospitalier, mais non médicalisé, équivalent d’une « maison de naissance ». Dans le cas où un problème surviendrait pendant l’accouchement, la patiente est transférée dans un centre de soins « secondaires » ou elle sera prise en charge par un obstétricien. Seules les grossesses initialement considérées à haut risque sont directement adressées pour leur suivi et leur accouchement en centre de soins « secondaire » et placées sous la surveillance d’un obstétricien.

Certes, cette étude souffre d’imperfections. On aurait aimé connaître la proportion d’accouchements initialement pris en charge à domicile. Surtout, on aurait aimé un recueil plus complet des données maternelles, en particulier des raisons de leur classification en bas et haut risque, les raisons du transfert en centre secondaire et la durée de celui-ci. Ce point est important car il n’a pas permis d’analyse multivariée permettant de pondérer ces calculs en fonction des facteurs influençant le devenir néonatal. Néanmoins, et comme le soulignent les auteurs, parce que les patientes à risque n’étaient pas prises en charge en centre de soins primaire, un tel calcul aurait sans doute accentué la significativité des résultats. Certes, avec seulement 36 décès survenus en période périnatale sur les 37735 naissances inclues dans cette étude (26 en centre « primaire » et 10 en centres « secondaires »), on parle ici d’évènements rares mais toujours dramatiques et aujourd’hui inacceptables.

Cet article risque d’être source de nombreuses discussions dans le monde obstétrical dans les mois à venir et arrive à point nommé pour alimenter la discussion sur les maisons de naissances gérées exclusivement par les sages-femmes et destinées à la prise en charge des grossesses « normales ». Ceci est d’autant plus marquant que l’expérimentation de ces maisons de naissance a été votée par les députés et est actuellement examinée par le Sénat. Alors que la France a travaillé depuis plusieurs années à la mise en place d’un réseau de maternités de différentiels niveaux, aux transferts materno-fœtaux et à la sécurisation des naissances, les résultats de cette étude sont essentiels pour permettre une discussion objective et une prise de décision raisonnable quant à la gestion de nos femmes enceintes et aux décisions de santé publique qui en découlent. Finalement, cet article montre que la principale erreur du système obstétrical des Pays-Bas est de croire que l’on peut simplement classer les femmes enceintes entre celles qui sont à bas risque et à haut risque. Même s’il existe des indicateurs forts de la prédiction de complications obstétricales et néonatales, l’anticipation du bon déroulement d’une naissance est encore aujourd’hui impossible et cet article en est la démonstration criante. Certes, une telle organisation de la prise en charge des grossesses permet d’obtenir un taux de césarienne particulièrement bas (5,7%) mais est-ce aujourd’hui un argument suffisant ? Enfin, il est nécessaire de rappeler que cet article ne met pas en cause la compétence des sages-femmes mais bel et bien l’organisation des soins et montre que plus que tout, la collaboration entre sages-femmes et obstétricien est indispensable pour la sécurité de nos femmes enceintes et de leurs enfants à naître. La volonté de permettre une démédicalisation de la naissance est compréhensible, mais ne repose sur aucun argument objectif. Car finalement, quel est le réel effet négatif et objectif d’une naissance médicalisée ? Si, en tant que professionnels de la naissance, notre but premier reste avant tout la sécurité de nos patientes et le bien être de leurs enfants il est essentiel que nous ne prenions pas modèle sur un système d’organisation de soins qui reconnaît lui même ses limites et ses disfonctionnements.

Pour en savoir plus :

  • Annemieke CC Evers et al. Perinatal mortality and severe morbidity in low and high risk term pregnancies in the Netherlands: prospective cohort study. BMJ 2010;341:c5639.
  • Joseph R. Wax et al. Maternal and newborn outcomes in planned home birth vs planned hospital births : a metaanalysis. Am J Obstet Gyn 2010;243e1-8.
  • Kennare RM, Keirse M, Tucker GR, Chan AC. Planned home and hospital births in South Australia, 1991-2006: differences in outcomes. Med J Aust 2010;192:76-80.

 
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