Quelle voie d’accouchement programmer après une première césarienne ?

Lecture critique de l’article : Crowther et al. Planned vaginal birth or elective repeat cesarean: Patients preference restricted cohort with nested randomised trial. PloS Medicine 2012; 9:e1001192.

Le 14 Mars 2012, le Figaro publiait un article intitulé : «Après une césarienne, mieux vaut poursuivre ainsi ». Cet article reprenait en fait les résultats de la publication récente par Crowther et al. dans la revue PloS Medicine d’un large essai prospectif évaluant l’impact néonatal et maternel du mode d’accouchement programmé pour une patiente ayant un antécédent de  césarienne (1). L’impact d’un tel titre dans la presse est toujours important, voire parfois dévastateur. Alors qu’en est-il réellement ? Les résultats de cette étude justifient-ils ce titre sans appel ? Et au final, car c’est bien là la question, que dire à nos patientes ? L’étude dont on parle est un large essai prospectif multicentrique réalisé entre 2002 et 2007 sur 14 maternités australiennes et regroupant 2345 patientes et dont les conclusions sont que, pour une patiente avec un antécédent de césarienne avec une grossesse monofœtale à terme en présentation céphalique et présentant des critères d’éligibilité pour une voie basse, une césarienne programmée permet de réduire significativement le risque combiné de décès  fœtal et de morbidité néonatale sévère précoce et d’hémorragie de la délivrance massive sans augmenter le risque de complications maternelles.

Regardons dans le détail. Cette étude a inclus des femmes enceintes à terme (≥ 37 SA) d’une grossesse monofoetale en présentation céphalique ayant eu césarienne lors de leur accouchement précédent et qui présentaient les critères d’éligibilité à un accouchement par voie basse selon les recommandations internationales en vigueur (2-6). Ainsi, les critères d’exclusion pour cette étude étaient : un antécédent de plus d’une césarienne, une incision d’hystérotomie verticale, en T, ou de type non précisé, un antécédent de rupture utérine de chirurgie utérine, de perforation utérine, une contre-indication à un accouchement par voie basse, une disproportion fœto-pelvienne ou une malformation fœtale létale ou pouvant être responsable de difficultés mécaniques lors d’un accouchement voie basse. Le critère d’évaluation principal était la combinaison de la mortalité et de la morbidité sévère néonatale précoce, limitée à la période d’hospitalisation en suites de couches. Les auteurs évaluaient également la combinaison de la mortalité et de la morbidité maternelle sévère précoce. La particularité de cette étude est que si elle est prospective, il ne s’agit pas d’un essai réellement randomisé. Après inclusion, les patientes avaient la possibilité d’être randomisées entre une césarienne programmée et un accouchement par voie basse programmé. Dans le cas où elles refusaient la randomisation, elles étaient laissées libres de décider de la programmation de leur mode d’accouchement. Un tel mode de  répartition des patientes peut paraître surprenant, mais dans ce cas précis, est justifié par la quasi-impossibilité de faire un essai prospectif randomisé classique. Ceci est d’ailleurs illustré par la très faible proportion de patientes incluses ayant accepté la randomisation ; sur les 2345 patientes éligibles incluses, seulement 22 (0,9%) ont accepté la randomisation. Enfin, malgré le fait que la quasi-totalité des patientes incluses ont décidé de la programmation de leur mode de naissance, les deux groupes (voie basse programmée et césarienne programmée) ont des caractéristiques comparables sauf pour ce qui est du poids maternel et du niveau socio-économique qui sont légèrement plus élevé dans le groupe césarienne programmée et de l’étiologie de la césarienne initiale. On note effectivement dans le groupe de patientes ayant décidé d’une césarienne programmée une proportion plus importantes de patientes qui avaient présenté une stagnation de la dilatation ou avaient décidé d’une césarienne programme parce qu’il s’agissait d’une présentation du siège ou tout simplement par choix personnel sans aucune raison obstétricale.

Au final, une naissance par césarienne a été programmée pour 1108 patientes et une naissance par voie basse a été programmée pour 1237 patientes ; 97,7 % des patientes qui avaient une césarienne programmée ont accouché par césarienne. Afin de limiter le risque de détresse respiratoire néonatale précoce, la césarienne était programmée entre 38 et 40 SA, préférentiellement à 39 SA.  En moyenne, elle était réalisée à 38,8 SA ± 0,7 et 9,9 % de ces patientes ont eu une césarienne en urgence pour des contractions utérines et/ou mise en travail avant la date fixée de la césarienne. Pour les patientes qui avaient une voie basse programmée, seulement 43,2 % ont finalement accouché par voie basse. Par rapport aux patientes pour lesquelles une naissance par voie basse était programmée, la combinaison de la mortalité et de la morbidité sévère néonatale était significativement diminuée pour les patientes pour lesquelles une naissance par césarienne avait été programmée : 30/1237 (2,4 %) vs. 10/1108 (0,9 %) ; Risque Relatif (RR) : 0,39 ; Intervalle de Confiance à 95 % (IC à 95 %) : 0,19-0,80 ; p=0,011. A partir de ce résultat, les auteurs ont évalué qu’il fallait programmer 66 césariennes (IC à 95 % : 40-200) pour éviter un cas de mortalité ou de morbidité néonatale sévère.

Quand on analyse ces résultats plus finement, on constate que le risque de décès néonatal n’était pas significativement modifié par le choix du mode d’accouchement. Au total, seuls deux décès fœtaux sont survenus dans le groupe voie basse programmée contre aucun dans le groupe césarienne programmée (p=0,50). Il s’agissait de deux enfants morts nés à 39 SA sans qu’aucune raison n’ait été retrouvée. En particulier, ces deux décès n’étaient pas associés à une rupture utérine ou à une autre complication obstétricale. Probablement du fait de l'e risque de rupture utérine n’était d’ailleurs pas différent entre les deux groupes : 1 (0,1 %) vs. 3 (0,2 %), respectivement (p=0,63). Enfin, il est intéressant de noter que si la morbidité néonatale globale est significativement plus faible pour les patientes ayant eu une césarienne programmée : 0,9 % vs. 2,3 % ; RR : 0,41 (IC à 95 % : 0,20-0 ;83), pris individuellement, on ne notait pas de différence de chacun des composants de cette morbidité néonatale sévère entre les deux groupes. En particulier, il n’y avait pas de différence pour ce qui est du risque de traumatisme fœtal, de crises convulsives, de score d’APGAR ≤ 4 à 5 min, de pH au cordon < 7,0, d’encéphalopathie sévère, d’admission plus de 4 jours en réanimation néonatale, de maladie pulmonaire sévère, d’entérocolite ulcéronécrosante ou d’infection néonatale. Enfin, aucun décès maternel n’est survenu et le risque combiné de décès maternel et de morbidité maternelle sévère n’était pas significativement différent entre les deux groupes. Seul le risque d’hémorragie de la délivrance majeure, définie par une hémorragie > 1500 mL et/ou nécessitant une transfusion, était significativement plus important en cas de naissance par voie basse programmée : 0,8 % vs. 2,3 %, respectivement (p=0,011).

Alors que dire de cette étude ? Tout d’abord, si l’absence de randomisation conventionnelle peut surprendre et paraître en fragiliser les résultats, il faut reconnaître que la méthodologie employée est adaptée à la question posée et renforcée par la bonne comparabilité des groupes de patientes étudiés. Enfin, les critères d’inclusion sont raisonnables et concordants avec la bonne pratique médicale et les recommandations en vigueur. Bref, si cette méthodologie n’est pas conventionnelle, elle est néanmoins solide. Il s’agit d’une étude bien conduite, qui apporte un niveau de preuve élevé et dont les résultats doivent être connus des obstétriciens. Alors apprend-on de nouvelles choses ? Non. Les résultats sont globalement concordants avec ce qui a pu être publié au préalable sur le risque d’un accouchement voir basse par césarienne, on reste néanmoins surpris par la réduction du risque d’hémorragie de la délivrance sévère et/ou de recours à la transfusion sanguine en cas de césarienne programmée. Les études précédentes aboutissaient à des résultats inverses, en particulier la publication de 2004 de Landon et al. dans le New England Journal of Medicine qui fait toujours référence sur le sujet (7).

On peut toujours critiquer cette étude sur plusieurs points. Le choix d’une combinaison de la mortalité et de la morbidité néonatale sévère est critiquable. Car si au final il n’y a pas de différence en terme de mortalité néonatale, seule la morbidité néonatale sévère diffère significativement entre les deux groupes. On peut surtout regretter que les auteurs n’aient pas du tout détaillé l’utilisation de syntocinon pendant le travail en cas de naissance par voie basse programmée. Ceci est d’autant plus gênant qu’ils rapportent une induction du travail chez 12,4 % des patientes ayant eu un accouchement par voie basse programmé mais n’apportent aucune autre précision complémentaire. Enfin, et surtout, il faut bien comprendre que cette étude n’évalue qu’un impact à très court terme, et n’apporte aucun élément en terme du suivi de ces nouveau-nés. Qu’en est-il du devenir à plus long terme ? Est-il vraiment raisonnable de juger de la meilleure option à prendre devant une patiente ayant un antécédent de césarienne lors de sa précédente grossesse sur des critères pronostiques si précoces ? Surtout quand on regarde dans le détail les composants de cette morbidité néonatale sévère. On peut d’ailleurs imaginer ce que pourraient être les résultats d’une étude posant la même question dans une population de patientes à terme de leur première grossesse n’ayant encore jamais accouché. Heureusement, cette étude n’a pas encore été faite. Pas encore… Enfin, il faut rappeler que si ces différences sont significatives, les différences restent faibles et elles s’appliquent à des évènements rares. Autre point important, une tentative de voie basse ne signifie pas nécessairement accouchement par voie basse. Dans plus de la moitié des cas dans cette étude, ces patientes ont au final eu une césarienne en urgence dont on sait que la morbidité est plus importante. Alors, que dire à nos patientes ? En terme de santé publique, l’impact de ces évènements rares ne sera jamais comparable avec l’impact individuel pour la patiente face à cette situation.  La décision d’une patiente à laquelle on demanderait aujourd’hui choisir son mode d’accouchement après lui avoir remise une information « éclairée » tenant compte des résultats de cette étude semble plus que prévisible. La réponse est sans doute illustrée par la tendance actuelle. On observe effectivement dans ce cas précis un taux de plus en plus élevé de patientes ayant recours à une césarienne programmée. Il serait de 80 % en Australie (8)et de 90 % aux USA (9). La discussion serait-elle déjà bouclée ? Bien évidemment, la réponse ne peut faire abstraction du risque pour les grossesses ultérieures en cas d’utérus bi et multicicatriciel, et en particulier du risque de placenta accreta et percreta dont l’incidence est en constante augmentation (10). Crowther et al. proposent un suivi  à long terme de leur cohorte de patientes pour répondre à cette question. Mais l’étude n’ayant pas été construite pour répondre à cette question, il est peu probable que les résultats à venir apportent des réponses concluantes. Finalement, la question la plus importante n’est peut être pas d’avoir une réponse à la question de la meilleure prise en charge des utérus monocicatriciels, mais, toujours et encore, de mettre en œuvre tous les moyens possibles pour éviter la première césarienne et optimiser son indication.

Quoi qu’on en dise, et même pour les plus fervents défenseurs de l’accouchement par voie basse, cette étude est une étude importante, méthodologiquement solide bien qu’imparfaite, mais elle ne peut suffire à apporter une réponse définitive à la question du mode d’accouchement des patientes ayant un antécédent de césarienne qui doit absolument tenir compte de la morbidité à long terme pour le fœtus comme pour la mère. Le Figaro, dans son article, rappelait que la césarienne n’était pas non plus sans risque, mais pour cela encore fallait-il avoir lu le texte en totalité et ne pas s’être arrêté au titre…

Pour en savoir plus :

  1. Crowther CA, Dodd JM, Hiller JE, Haslam RR, Robinson JS. Planned vaginal birth or elective repeat cesarean: patients prefrence restricted cohort with nested randomised trial  PLoS Medicine. 2012;9(3):e10010092.
     
  2. Royal College of Obstetricians and Gynaecologists (RCOG). Birth after caesarean birth. In: Green-top guideline. London: RCOG Press; 2007.
     
  3. American College of Obstetricans and Gynecologists (ACOG). ACOG Practice Bulletin: vaginal birth after previous cesarean delivery. Int Gynaecol Obstet. 1999;66:197-204.
     
  4. Institute for Clinical Systems Improvement (ICSI). Vaginal birth after cesarean. Bloomington, editor. Minnesota: ICSI; 2001.
     
  5. National Institute for Clinical Effectiveness (NICE). Caesarean section London: RCOG Press; 2004.
     
  6. Society of Obstetricians and Gynecologists of Canada (SOGC). Clinical practice guidelines: Guidelines for vaginal birth after previous caesarean birth. Int J Gynaecol Obstet. 2005;89:319-31.
     
  7. Landon MB, Hauth JC, Leveno KJ, Spong CY, Leindecker S, Varner MW, et al. Maternal and perinatal outcomes associated with a trial of labor after prior cesarean delivery. N Engl J Med. 2004;351(25):2581-9.
     
  8. Laws P, Li Z, Sullivan EA. Australia's mothers and babies 2008.  Perinatal statistics seris no 24; 2010.
     
  9. Hamilton BE, Martin JA. Births: Preliminary data for 2007. Natl Vital Stat Rep. 2009;57:1-23.
     
  10. Sentilhes L, Kayen G, Ambroselli C, Grangé G, Resch B, Bouission F, et al. Placenta accreta : fréquence, dépistage prénatal, prise en charge. Presse Med. 2010;39:765-77.

 
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