Prise en charge des grossesses gemellaires d’évolution normale : faut-il déclencher à partir de 37 sa ?

Lecture critique de l’article : Dodd JM et al. Elective birth at 37 weeks of gestation versus standard care for women with an uncomplicated twin pregnancy at term : The twins timing of birth randomised trial. BJOG 2012;119:964-974.

Le problème posé par la grossesse en dépassement de terme est maintenant bien connu pour les grossesses monofoetales. Ces grossesses sont ainsi exposées à un risque plus important de mortalité et de morbidité périnatale, en partie expliqués par un risque augmenté d’oligoamnios, d’anomalies du rythme cardiaque fœtal, d’émission méconiale in utéro,  mais aussi de macrosomie et  des traumatismes obstétricaux  qui y sont associés. Pour ces raisons, la Cochrane indique, pour les grossesses monofoetales d’évolution normale, un déclenchement à partir de 41 SA afin de réduire le risque de décès périnatal (1). Le Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français (CNGOF) dans ses recommandations de 2011, reconnaissait l’intérêt de mettre en place une surveillance 2 à 3 fois par semaine pour les grossesses monfoetales entre 41+0 SA et 42+0 SA et recommandait de proposer un déclenchement aux patientes entre 41+0 SA et 42+6 SA en reconnaissant que « le moment du déclenchement sera déterminé en fonction des caractéristiques maternelles (conditions locales, cicatrice utérine, parité, IMC, âge), de la préférence des patientes et de l’organisation des soins des maternités » (2). Si le CNGOF ne donne pas clairement de terme limite à partir duquel un déclenchement doit être réalisé, il insiste sur la nécessité d’une information des patientes si la prolongation de la grossesse est choisie au-delà de 42+0 SA du fait d’une augmentation des risques fœtaux (3).

Le problème du dépassement de terme des grossesses gémellaires reste encore insuffisamment  exploré. Certes, les grossesses gémellaires, en dehors de la morbidité qui leur est propre, sont particulièrement à risque d’accoucher prématurément ; 46 % de ces grossesses accoucheraient  avant 37 SA. Cependant, le risque de morbidité et de mortalité périnatale augmente à partir de 37 SA avec un risque minimal entre 36 et 38 SA. La question d’un déclenchement à 37 SA se pose donc pour les grossesses gémellaires d’évolution normales. C’est à cette question qu’a tenté de répondre cet essai prospectif randomisé multicentrique Australien (4). Dans cette étude, les grossesses gémellaires d’évolution normale à 36+6 SA étaient randomisées entre la programmation de la naissance à 37 SA et la surveillance simple de la grossesse. Les patientes pour lesquelles la naissance était programmée à 37 SA étaient déclenchées si une voie basse étaient autorisée ou avaient une césarienne programmée dans les autres cas. Pour les patientes du groupe surveillance, la prise en charge consistait soit à attendre la mise en travail spontané ou à déclencher le travail pour celles ayant un accord voie basse ; si une césarienne était indiquée, celle-ci était réalisée le plus tard possible après 38 SA et avant 39 SA. Le critère de jugement principal étudié était la survenue d’une issue périnatale défavorable sévère pour le nouveau-né que ce soit la mort fœtale quel que soit le moment de sa survenue après l’inclusion et jusqu’à 28 jours de vie ou une morbidité périnatale sévère. Au total, 235 patientes ayant une grossesse gémellaire d’évolution normale à 36SA+6 dont 40 grossesses monochoriales ont été incluses dont 116 ont eu une naissance induite à 37 SA et 119 ont bénéficié d’une surveillance simple. Les enfants pour lesquels une naissance était indiqué à 37 SA sont nés à un terme moyen de 37,3 ±0,4 SA (range, 37+0-40+2 SA) avec 86 % des patientes ayant accouché entre 37+0 et 37+4 SA. Le terme moyen de naissance était de 37,9  ±0,5 SA (range, 37+0-39+3 SA) dans l’autre groupe avec 45 % de ces patientes ayant accouché entre 37+0 et 38+0 SA et 55 % après 38 SA. Au final, cette étude montre une réduction significative du risque d’issue périnatale défavorable sévère chez les enfants des patientes pour lesquelles une naissance a été indiqué à 37 SA : 11/232 (4,7 %) vs. 29/238 (12,2%) ; RR : 0,39 ; IC à 95 % : 0,20-0,75 ; p=0,005. Quand on observe ces résultats dans le détail, on n’observe aucune différence significative entre ces deux groupes pour ce qui est de la mortalité périnatale. Les seuls autres différences significatives observées étaient la réduction du risque de morbidité néonatale (RR : 0,37 ; IC à 95 % : 0,18-0,73 ; p=0,004) et de poids de naissance inférieur au 3e percentile (RR : 0,30 ; IC à 95 % : 0,13-0,67 ; p=0,004).

Les résultats de cette étude plaident donc en faveur de la programmation de la naissance après 37 SA pour les patientes ayant une grossesse gémellaire d’évolution normale atteignant  ce terme. Malgré une méthodologie adaptée et un fort niveau de preuve, on peut néanmoins critiquer plusieurs points qui remettent en question la valeur de cette étude. Tout d’abord les modalités de datation précise de ces grossesses ne sont pas précisées. C’est pourtant un point essentiel et une faiblesse évidente de cette étude quand on connaît les aléas et les difficultés de la datation précise de ces grossesses et les conséquences que cela peut avoir sur l’interprétation des résultats. Certes, les deux groupes avaient des caractéristiques comparables, mais ce point manque cruellement pour se satisfaire totalement des résultats de cette étude. On ne peut également que regretter que, faute de subventions financières suffisantes, le nombre de sujets nécessaires initialement calculé n’ait pas été atteint. Ainsi, la taille de l’échantillon nécessaire a été initialement calculé à 460 grossesses gémellaires pour pouvoir mettre en évidence une réduction de 6,7 % du taux d’issue périnatale défavorable sévère  avec une puissance de 80 % et une valeur du risque a de 0,05.  Seules 235 patientes ont été incluses.

Au final, cette étude apporte des arguments pour indiquer une naissance à partir de 37 SA pour les grossesses gémellaires d’évolution normale atteignant ce terme. Ces résultats vont d’ailleurs dans le sens des recommandations du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) qui, rappelons le, propose de programmer la naissance après 36+0 SA en cas de grossesse gémellaire monochoriale d’évolution normale et après 37+0 SA pour les bichoriales (5).

 

Pour en savoir plus :

  1. Gulmezoglu AM, Crowther CA, Middleton P. Induction of labour for improving birth outcomes for women at or beyond term. Cochrane Database Syst Rev 2006;4:CD004945.
  2. Recommandations pour la pratique clinique, Grossesse prolongée et terme dépassé. Mises à jour en Gynécologie Obstétrique. CNGOF 2011.
  3. Laws P, Sullivan EA. Australia’s mothers and babies 2007. Perinatal statistics series no. 23. Cat. no. PER 48. Sydney: AIHW National Perinatal Statistics Unit; 2009.
  4. Dodd JM, Crowther CA, Haslam RR, Robinson JS. Elective birth at 37 weeks of gestation versus standard care for women with an uncomplicated twin pregnancy at term: the Twins Timing of Birth Randomised Trial. BJOG 2012;119(8):964-73.
  5. National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE). Multiple pregnancy: the management of twin and triplet pregnancies in the antenatal period. London: RCOG Press; 2011. Dodd et al. 972

 
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