Pratiques sexuelles à risque : mention possible dans le dossier informatisé ?

Décision n° 2014-412 QPC du 19 septembre 2014 du Conseil constitutionnel :

   Un homme avait souhaité faire un don de sang, en 2004, à l’Hôpital Saint-Louis à Paris, mais un médecin avait refusé du fait de son homosexualité présumée. En 2006, il vient à nouveau donner son sang dans un autre établissement parisien, mais, au moment de l’enregistrement de son dossier, on lui explique qu’il est référencé sous un code FR 08, correspondant à une catégorie « homosexuel » et qu’à ce titre il ne peut faire don de son sang, en raison du filtre nécessaire à la sécurisation des pratiques transfusionnelles. Il dépose plainte pour discrimination à raison de l’orientation sexuelle, en visant les délits des articles 225-1 et -2 du code pénal. Une ordonnance de non-lieu est rendue par le juge d’instruction. Appel devant la chambre de l’instruction, qui confirme le non-lieu.

 

La QPC :

   A l’occasion de son pourvoi en cassation, Mr D. pose la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ci-après :

« Les dispositions de l’article 226-19 du code pénal, combinées aux dispositions de l’article L. 1223-3 du code de la santé publique, en ce qu’elles feraient exception à l’obligation de recueillir le consentement exprès d’une personne désireuse de donner son sang pour mettre ou conserver en mémoire informatisée des données à caractère personnel relatives à la santé, portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et, plus exactement, d’une part au principe de légalité des délits et des peines, au principe de nécessité des peines et à l’exigence de prévisibilité de la loi, garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et, d’autre part, à l’exigence constitutionnelle de consentement à la captation et à la conservation de données personnelles, garantie par l’article 2 de la Déclaration de 1789 ? »

 

Article 226-19 du code pénal :

   Dans sa rédaction issue de l’article 14 de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel, et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, l’article 226-19 prévoit :

« Le fait, hors les cas prévus par la loi, de mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans le consentement exprès de l’intéressé, des données à caractère personnel qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou les appartenances syndicales des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à l’orientation [ajout par l’article 4 de la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 :] « ou identité sexuelle » de celles-ci, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 Euros d’amende. »

   La réforme avait consisté à remplacer les données « relatives aux mœurs » par les données « relatives à l’orientation sexuelle » et d’intégrer les données « relatives à la santé ».

 

Article L. 1223-3 du code de la santé publique :

- issu de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 (relative à la politique de santé publique) :

« Les établissements de transfusion sanguine, le centre de transfusion sanguine des armées et les établissements de santé autorisés à conserver et distribuer des produits sanguins labiles doivent se doter de bonnes pratiques dont les principes sont définis par un règlement établi par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé après l’avis de l’Etablissement français du sang, homologué par arrêté du ministre chargé de la santé et du ministre de la défense et publié au Journal officiel de la République française. »
 

- modifié par l’ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 :

« Les établissements de transfusion sanguine, le centre de transfusion sanguine des armées et les établissements de santé autorisés à conserver et distribuer ou délivrer des produits sanguins labiles doivent se doter de bonnes pratiques dont les principes sont définis par décision de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé après avis de l’Etablissement français du sang et du centre de transfusion sanguine des armées. »

   Dans son argumentaire, Mr D. invoquait également l’article L. 1211-6-1 du code de la santé publique : « Nul ne peut être exclu du don du sang en dehors de contre-indications médicales. »

   L’auteur de la QPC invoque un moyen d’inconstitutionnalité tiré de l’atteinte au droit au respect de la vie privée. La possibilité de collecter et de conserver des données personnelles sensibles sans le consentement exprès de l’intéressé, lorsque la loi le prévoit, n’apporterait pas de garanties suffisantes au droit au respect de la vie privée. Le consentement exprès de l’intéressé constituerait une garantie légale indispensable du droit au respect de la vie privée lorsque sont en jeu des données personnelles sensibles.

 

Le Conseil constitutionnel :

1. refuse de statuer sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 1223-3 du code de la santé publique dans sa rédaction issue du paragraphe III de l’article 4 de l’ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine : en raison de ce qu’aucune disposition législative n’a procédé à la ratification de cette ordonnance du 1er septembre 2005. Le Conseil constitutionnel n’est compétent que pour contrôler la constitutionnalité de dispositions législatives. Une ordonnance non ratifiée par le Parlement n’étant pas une loi, le Conseil constitutionnel se déclare saisi de l’article L. 1223-3 du CSP dans sa rédaction issue de la loi du 9 août 2004, laquelle ne prévoyait pas que le règlement établi par l’ANSM devait être homologué par un arrêté ministériel ;

2. juge en ce qui concerne le premier alinéa de l’article 226-19 du code pénal et l’article L. 1223-3 du CSP dans sa version de 2004 :

« Sur la constitutionnalité des dispositions contestées :

Considérant que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ;

Considérant que le premier alinéa de l’article 226-19 du code pénal punit de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende le fait, « hors les cas prévus par la loi », de mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans le consentement exprès de l’intéressé, des données à caractère personnel qui font apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou les appartenances syndicales des personnes, « ou qui sont relatives à la santé ou à l’orientation sexuelle de celles-ci » ;

Considérant que les dispositions de l’article L. 1223-3 du code de la santé publique n’ont pas pour objet de définir une exception à cette incrimination ; que de telles exceptions sont en particulier définies par l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée ; que le premier paragraphe de cet article interdit de collecter les données à caractère personnel qui font apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, « ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci » ; que son second paragraphe énumère les exceptions à ce principe et, notamment, « les traitements nécessaires aux fins de la médecine préventive, des diagnostics médicaux, de l’administration de soins ou de traitements, ou de la gestion de services de santé » ; que, dans sa décision du 29 juillet 2004 susvisée, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 dans sa rédaction issue de l’article 2 de la loi du 6 août 2004 susvisée ;

Considérant, d’une part, qu’en adoptant l’article 226-19, le législateur a défini de manière claire et précise le délit d’enregistrement ou de conservation en mémoire informatisée des données à caractère personnel ; qu’en prévoyant des exceptions dans les « cas prévus par la loi » à l’incrimination qu’elles définissent, les dispositions de cet article ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits et des peines ;

Considérant qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de porter une appréciation sur les mesures réglementaires prises pour l’application des dispositions de l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions du premier alinéa de l’article 226-19 du code pénal ne portent aucune atteinte au principe de légalité des délits et des peines ;

Considérant, d’autre part, que les dispositions de l’article L. 1223-3 du code de la santé publique, qui se bornent à imposer aux établissements de transfusion sanguine de « se doter de bonnes pratiques dont les principes sont définis par un règlement établi par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé après l’avis de l’Etablissement français du sang, homologué par arrêté du ministre chargé de la santé et du ministre de la défense », ne méconnaissent aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ;

Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution. »
 

La Chambre criminelle de la Cour de cassation va donc se prononcer en cet état.

On se souviendra qu’en matière d’accouchements sous X, la règlementation garantit le secret d’identité de la mère et la révélation de son identité si elle y consent. Le Conseil constitutionnel a reconnu que l’accouchement sous X peut porter atteinte notamment à la vie privée d’un enfant désireux de retrouver ses origines. Cependant cette atteinte est justifiée car « en garantissant ainsi un droit à l’anonymat et la gratuité de la prise en charge lors de l’accouchement dans un établissement sanitaire, le législateur a entendu éviter le déroulement de grossesses et d’accouchements dans des conditions susceptibles de mettre en danger la santé tant de la mère que de l’enfant et prévenir les infanticides ou des abandons d’enfants ; qu’il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ». Et, après avoir examiné le dispositif prévu par la loi et notamment « les conditions dans lesquelles le secret de cette identité peut être levé, sous réserve de l’accord de la mère de naissance », il a conclu que « 8. Considérant qu’en permettant à la mère de s’opposer à la révélation de son identité même après son décès, les dispositions contestées visent à assurer le respect de manière effective, à des fins de protection de la santé, de la volonté exprimée par celle-ci de préserver le secret de son admission et de son identité lors de l’accouchement tout en ménageant, dans la mesure du possible, par des mesures appropriées, l’accès de l’enfant à la connaissance de ses origines personnelles ; qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, de substituer son appréciation à celle du législateur sur l’équilibre ainsi défini entre les intérêts de la mère de naissance et ceux de l’enfant ; que les dispositions contestées n’ont pas privé de garanties légales les exigences constitutionnelles de protection de la santé ; qu’elles n’ont pas davantage porté atteinte au respect dû à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale ; »

(Décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012).

 

Dans une autre décision, le Conseil constitutionnel avait estimé qu’il ne lui appartenait pas« de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, du respect dû au corps humain ; que, par suite, les griefs tirés de la méconnaissance du respect dû à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale doivent être écartés ».

(Décision n° 2011-173 QPC du 30 septembre 2011)

 

Pour chaque cas, le Conseil constitutionnel examine les garanties entourant l’atteinte à la vie privée de la personne.

En l’espèce, Gynéco Online reviendra sur cette affaire lorsque la Cour de cassation aura statué sur le pourvoi.

 
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