Arrêt du 15 décembre 2014 : 12 M€ de dommages-intérêts

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence condamne un obstétricien de Cagnes-sur-Mer à payer plus de 12 millions d’euros aux parents d’un enfant atteint d’une infirmité (IMOC).

LE MÉDECIN ÉTAIT POURSUIVI POUR AVOIR :

  • par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement, causé une incapacité de travail de plus de trois mois en n’ayant pas pris les mesures permettant d’éviter la réalisation du dommage (article 222-19 du code pénal) ;
  • commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer (article 121-3 du code pénal).

Après avoir désigné un collège d’experts, le Tribunal correctionnel de Grasse avait le 4 janvier 2010 relaxé le docteur S. et débouté les parents qui ont saisi la Cour d’Aix, conjointement avec le Ministère Public :

Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 11 avril 2011, n° 516/M/2011 :

  • Sur l’action pénale :

La Cour d’appel retient plusieurs négligences et imprudences à l’encontre de l’obstétricien :

  • une erreur initiale de diagnostic d’engagement de la tête du fœtus, pourtant signalée par la sage-femme comme étant la proéminence d’une bosse sero-sanguine,
  • une négligence en retournant à son domicile, laissant l’accouchement à la charge de la sage-femme, entraînant un retard dans la décision de procéder à une césarienne,
  • une imprudence en pratiquant une tentative d’extraction instrumentale,
  • une négligence en ne procédant pas à un examen clinique précédent la césarienne,
  • une négligence dans l’organisation matérielle des opérations d’accouchement.

La Cour retient la responsabilité pénale du médecin sur le fondement des articles 121-3 et 222-19 du code pénal et le condamne au paiement d’une amende de 10 000 €.

  • Sur l’action civile :

Les experts estiment que :

  • pour le Professeur d’Ercole et le docteur Gire :

    « Les décisions prises ont eu pour effet de retarder la naissance de l’enfant. Ce retard a pu majorer l’état d’hypoxie de l’enfant et expliquer en partie le mauvais état néonatal.
    […] Il est également important de noter que l’étude ‘au fur et à mesure’ de ces éléments dans leur chronologie d’apparition montre que ces éléments péjoratifs sont apparus de façon progressive et que les décisions prises ‘au fur et à mesure’ reposent également sur des éléments médicaux, même si ces décisions n’étaient pas les plus appropriées. »

  • pour les Professeurs Racinet et Putet :

    « En définitive l’IMOC est presque certainement liée à une asphyxie périnatale dont la cause n’apparaît pas évidente […].
    Il est par contre assez évident que le Dr S. a fait preuve d’une gestion critiquable de l’accouchement (la gestion de la grossesse ne faisant l’objet d’aucune remarque, sauf l’indifférence manifestée à l’égard du tabagisme).
    […] Ainsi, on peut considérer que le manquement de prudence ou la négligence du Dr S. paraît peu discutable (retard répétés aux prises de décision) et a pu jouer un rôle aggravant par asphyxie per-partum surajouté (non aiguë), qui est certaine et qui concourt aux manifestations neurologiques.
    Si l’on ne peut retenir de relation causale certaine exclusive entre cette gestion critiquable et les troubles neurologiques présentés par Philippe G., on peut par contre la qualifier sous forme d’une perte de chance […]. »

  • pour les docteurs Rey-Salmon et les Professeurs Catherine Adams-Baum et Lepercq :

    L’origine ante – ou per – partum de cette asphyxie fœtale ne peut pas être déterminée avec certitude.
    […] Aucun élément ne permet d’affirmer avec certitude d’une part qu’une extraction plus précoce était indiquée et d’autre part qu’elle aurait été bénéfique à la santé de l’enfant. »

La Cour estime que « les fautes commises par le Dr S. l’obligent à indemniser les victimes directes et collatérales des dommages par elles subis » et le condamne à verser, à titre provisionnel, 562 500 € au titre des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux subis par Philippe G. et par les victimes indirectes.

Cour de cassation, crim., 2 mai 2012, n°11-84.017 :

Le pourvoi formé par le docteur S. et sa société d’assurance est rejeté par la Cour de cassation qui estime que la Cour d’appel a suffisamment caractérisé les éléments constitutifs de l’infraction de blessures involontaires dont elle a déclaré le prévenu coupable et a justifié les indemnités destinées à réparer les préjudices en découlant.

La Cour rend définitive la condamnation du docteur S. sur le fondement du délit de blessures involontaires.

Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 15 décembre 2014, n° 2014/524 :

Dans cet arrêt, la Cour se prononce sur les intérêts civils.

Les époux G. demandent à la Cour d’appel de condamner le médecin à payer un montant total de 12 660 695,55 €.

La Cour fait presque totalement droit à leur demande puisqu’elle condamne l’obstétricien à payer :

  • aux époux G. en leur qualité de représentant légal de leur enfant mineur :  
    • 1 809 064 € en réparation des préjudices subis par Philippe G.,
    • 8 672 400 € versés sous forme d’une rente annuelle de 197 100 € au titre de l’assistance par tierce personne après consolidation (l’espérance de vie de l’enfant étant fixée à 44 ans),
    • une rente annuelle de 7 300 € au titre de la majoration pour aide-ménagère après consolidation.
  • à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des Alpes-Maritimes la somme de 2 214 990,36 € en remboursement des dépenses de santé futures.

 

Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 11 avril 2011, n° 517/M/2011 et Cour de cassation, crim., 2 mai 2012, n° 11-84017 :

Deux arrêts retiennent la responsabilité pénale du médecin sur le fondement de l’article 434-4 du code pénal relatif au délit de destruction, soustraction ou altération de preuve le praticien étant jugé avoir falsifié le dossier médical 6 ou 7 jours après l’accouchement afin de tenter de dégager sa responsabilité.

 

SUR LE PAIEMENT DE L'INDEMNISATION

L’article 146 de la loi n° 2011-1977 de finances 2012 du 28 décembre 2011 a créé un fonds de garantie pour les dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par les professionnels de santé exerçant à titre libéral.

Selon les dispositions de l’article L. 426-1 du code des assurances, ce fonds d’indemnisation a pour mission, lorsque la responsabilité civile d’un professionnel de santé est engagée, de régler la part excédant le plafond de garantie prévu par le contrat d’assurance.  

Le décret n° 2011-2030 du 29 décembre 2011, codifié à l’article R. 1142-4 du code de la santé publique, a relevé les plafonds de garantie des professionnels de santé de 3 à 8 millions d’euros par sinistre et de 10 à 15 millions d’euros par année d’assurance pour tous les contrats d’assurance conclus, renouvelés ou modifiés à compter du 1er janvier 2012.

Dans notre cas d’espèce, la Cour d’appel d’Aix condamne l’obstétricien à payer environ 12 millions d’€uros et déclare que son arrêt est « opposable à la société d’assurance Allianz ». L’arrêt ne précise pas ce que contenait le contrat d’assurance, souscrit avant l’entrée en vigueur du décret de 2011 puisque l’accouchement a eu lieu 10 ans plus tôt.

Deux hypothèses sont envisageables :

  • soit l’assureur du praticien prend en charge la totalité de l’indemnisation, son contrat d’assurance fixant un plafond de garantie supérieur à 12 millions d’euros,
  • soit le plafond de garantie du contrat d’assurance du praticien est inférieur à 12 millions d’€uros et dans ce cas, l’obstétricien devra indemniser les victimes sur ses deniers propres.

Le fonds d’indemnisation ne pourra intervenir puisque l’article 3 du décret de 2011 limite son champ d’application aux contrats conclus, renouvelés ou modifiés à compter du 1er janvier 2012 ou aux réclamations déposées à partir de cette même date en cas d’expiration du délai de validité de la couverture du contrat d’assurance. Dans l’espèce, le contrat est très probablement antérieur à cette date, le dommage ayant eu lieu le 29 juillet 2000.

Si la création d’un fonds d’indemnisation constitue une garantie pour les victimes d’accidents médicaux comme pour les professionnels de santé, sa portée reste néanmoins limitée aux sinistres antérieurs au 1er janvier 2012 sans rétroactivité. Mais il est rare de constater des indemnisations aussi élevées.  

 
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