Prédiction de la prééclampsie au premier trimestre : intérêt des facteurs angiogéniques PLGF et sFLT1

La prééclampsie se définit par l’association d’une hypertension artérielle (pression artérielle systolique ≥140mmHg et/ou pression artérielle diastolique ≥90mmHg) et d’une protéinurie de novo (>300mg/24h) après 20 semaines d’aménorrhée (SA) ([1]. L’enquête périnatale française rapporte qu’en 2010 : 2,1% des grossesses ont été compliquées de prééclampsie et 2,8% d’hypertension artérielle gravidique. Pour l’heure, il n’existe pas de traitement de la prééclampsie et cette pathologie est une cause importante de prématurité induite et de morbi-mortalité materno-fœtale. La prise en charge des patientes prééclamptiques ou à risque de prééclampsie est une préoccupation quotidienne des équipes obstétricales, le dépistage précoce des patientes à risque de développer une prééclampsie permettrait la mise en place d’une surveillance adaptée de la grossesse et de stratégies préventives, pour diminuer l’incidence de la pathologie, la seule prévention actuellement disponible étant l’aspirine [2].

La prédiction précoce de la prééclampsie pose cependant plusieurs problèmes. Premièrement, la fréquence relativement basse de la prééclampsie en population générale à bas risque (2,1%) rend sa prédiction difficile. Aucun biomarqueur ou examen radiologique n’apporte les performances prédictives suffisantes pour être utilisé isolément en pratique clinique. Certaines équipes proposent donc des scores de prédiction associant plusieurs biomarqueurs. Enfin, aucune étude n’a montré en population initialement à bas risque, ciblée par des tests prédictifs, l’intérêt de stratégies préventives pour diminuer la survenue de la prééclampsie.

Le Placental Growth Factor (PlGF) et le récepteur soluble du Vascular Endothelial Growth Factor (sFlt-1) sont respectivement deux molécules pro- et anti-angiogéniques libérées principalement par le placenta au cours de la grossesse. Les taux de PlGF circulants évoluent au cours de la grossesse normale avec un pic de concentration plasmatique vers 30 SA. De nombreux résultats expérimentaux et cliniques suggèrent qu’un déséquilibre de la balance sFlt-1/PlGF est impliqué dans la physiopathologie de la prééclampsie[3]. Les taux maternels circulants de sFlt-1 augmentent significativement cinq semaines avant les premiers signes cliniques de prééclampsie[4].

L’objectif de cet article est d’effectuer une mise au point sur l’intérêt du PlGF et du sFlt-1 pour la prédiction précoce de la prééclampsie en population à bas risque.

 

Une littérature profuse et confuse

Il existe de nombreuses études cliniques analysant la pertinence de biomarqueurs pour la prédiction précoce de la prééclampsie. La disparité des méthodologies et des populations étudiées explique en partie la variabilité des résultats. Il est important de vérifier la prévalence de la prééclampsie dans la population d’étude afin de vérifier si les résultats peuvent être transposés à la pratique (pour un dépistage en population générale, vérifier que la prévalence est bien de 1 à 2 %). Il existe de nombreux biais de sélection pouvant modifier l’incidence de la prééclampsie (ethnie, nulliparité, maternité de type universitaire). La cohorte peut être réalisée en population générale, sans exclusion des patientes présentant des facteurs de risque connus de prééclampsie (antécédent de prééclampsie précoce, diabète préexistant à la grossesse, HTA chronique, grossesse gémellaire), la prévalence attendue de la prééclampsie est alors de l’ordre de 2%. Une prévalence de la prééclampsie supérieure à 8% témoigne d’une population d’étude à haut risque.

Les publications analysant la performance prédictive en fin de premier trimestre des biomarqueurs sont pour la majorité des études cas-témoins nichées (nested case control study). Les cas et les témoins sont sélectionnés à partir d’une cohorte prospective, en recrutant tous les cas de prééclampsie dans la cohorte, et un sous-groupe des sujets construit n’ayant pas développé de prééclampsie, la sélection des contrôles est donc rétrospective. L’intérêt de l’approche vient du fait que les informations sur les caractéristiques des sujets ont été recueillies prospectivement lors du recrutement dans la cohorte, c’est-à-dire avant la survenue de la prééclampsie, l’étude garde un bon niveau de preuve.  Du fait d’une prévalence faible de la prééclampsie, le coût total est bien plus faible que si les dosages avaient été réalisés sur l’ensemble de la population d’étude. Les critères de choix de la population d’étude et des contrôles sont cruciaux pour la validité de l’étude. Le fait de n’inclure que des grossesses normales dans le groupe contrôle peut induire un biais de sélection qui augmente artificiellement la performance du test. Le même test en pratique clinique, appliqué sur une population générale peut donner lieu à un nombre supérieur de faux positifs.

Enfin, la plupart des études publiées n’évaluent pas la validité externe des algorithmes de prédiction qu’elles proposent. Oliveira et al [5] ont testé sur une population de 3422 femmes, les performances des algorithmes de prédiction de 5 études précédemment publiées. Pour la prédiction de la prééclampsie précoce (<34SA) et un taux de faux positif de 10%, les sensibilités calculées sur la nouvelle population étaient systématiquement inférieures  (29%-80%)  aux valeurs rapportés (47%-95%). Les nouvelles valeurs prédictives positives calculées étaient de 2,6% à 11,3%.

Prédiction précoce en population a bas risque

L’étude princeps pour la prédiction précoce de la prééclampsie en population à bas risque à l’aide du dosage de PlGF est celle de Poon et al en 2009 [6]. Il s’agit d’une étude cas-témoin nichée de 627 patientes à partir d’une cohorte prospective de 7797 grossesses singletons, chez lesquelles le dosage du PlGF a été réalisé au premier trimestre entre 11 et 13 SA dans le sérum maternel. L’incidence de la prééclampsie était dans cette population de 2%. Le dosage du PlGF était de 0.98 MoM (33.7 pg/mL) dans le groupe contrôle (n= 418, sans aucune complication et accouchant à terme, ce qui induit un biais), de 0.95 MoM (29.2 pg/mL) dans le groupe hypertension artérielle gestationnelle (n= 82) et celui-ci était diminué dans le groupe prééclampsie (0.61 MoM soit 25.8 pg/mL dans le groupe prééclampsie précoce, nécessitant un accouchement avant 34 SA avec n=29). L’algorithme intégrant la pression artérielle moyenne, l’index de pulsatilité des artères utérines, le dosage du PlGF et de la PAPP-A au 1er trimestre permet d’obtenir un taux de détection de 93.1% pour la prééclampsie précoce avec un taux de faux positif à 5%. La valeur prédictive positive de cet algorithme n’est pas précisée dans l’article, mais est relativement basse. En effet sur les 7797patientes incluses, 476 avaient un test positif parmi lesquelles 32 ont développé une prééclampsie avant 34 SA (VPP=32/476=7%) et 44 ont développé une prééclampsie après 34SA (VPP=44/476=9%). Parmi les patientes qui ont un test positif et chez qui une surveillance accrue ou une thérapeutique préventive seraient susceptibles d’être proposées, moins d’une sur 10 développera une prééclampsie. Enfin, il reste discutable de proposer un algorithme pour le quel le taux fixé de faux positif (5%, soit environ 40 000 grossesses par an) est supérieur à l’incidence de la pathologie que l’on cherche à prédire en population générale (2%, soit environ 16 000 grossesses par an). Les principaux résultats des études cliniques similaires sont résumés dans le tableau 1.

En résumé, le dosage du sFlt-1 dans le sérum maternel n’a aucune valeur prédictive au premier trimestre[7]. Les tests actuellement proposés en France reposent sur l’algorithme de l’équipe de Kypros Nicolaides qui associe le dosage de plusieurs biomarqueurs (PlGF- PAPP-A), le Doppler utérin au premier trimestre, la pression artérielle moyenne et les antécédents maternels[8]. Il existe actuellement plusieurs arguments contre l’utilisation  du dépistage précoce de la prééclampsie au premier trimestre de la grossesse :
- La faible valeur prédictive positive des tests,
- La mauvaise reproductibilité des performances prédictives quand le test est appliqué sur d’autres populations que la population d’étude initiale[5],
- L’absence de prévention ayant prouvé son efficacité à proposer aux femmes sans antécédents chez qui le test prédit un risque accru de prééclampsie. L’essai prospectif multicentrique Européen ASPRE prévoyant d’inclure 33 680 patientes entre 11 et 13 SA est cependant actuellement en cours pour déterminer si la prise d’aspirine versus placebo, chez les patientes considérées à risque accru selon un algorithme, permettrait de diminuer l’incidence de la prééclampsie.

Conclusion
Les performances des modèles prédictifs précoces basés uniquement sur le dosage des deux biomarqueurs PlGF et sFlt-1 restent médiocres en population à bas risque pour la survenue d’une prééclampsie précoce ou tardive. Ces performances sont améliorées par l’utilisation d’algorithmes associant le dosage de plusieurs biomarqueurs dont le PlGF avec des éléments cliniques et échographiques mais restent insuffisantes pour envisager leur utilisation systématique en pratique clinique. L’American Congress of Obstetrics and Gynecology (ACOG) s’est récemment prononcé contre l’utilisation de ces tests en prédiction de la prééclampsie au premier trimestre. 

Tableau 1 : Principales études évaluant la valeur prédictive du dosage du PlGF au premier trimestre en population générale pour le diagnostic de prééclampsie

Abréviations : Nb : nombre ; PE : prééclampsie ; DR : taux de détection ; FP : faux positif ; sen : sensibilité ; spe : spécificité ; VPP : valeur prédictive positive ; VPN : valeur prédictive négative, LHR : likehood ratio ; AUC : aire sous la courbe 

 

References

1. Mol BWJ, Roberts CT, Thangaratinam S, Magee LA, de Groot CJM, Hofmeyr GJ. Pre-eclampsia. Lancet Lond Engl. 2015; doi:10.1016/S0140-6736(15)00070-7
2. Bujold E, Roberge S, Lacasse Y, Bureau M, Audibert F, Marcoux S, et al. Prevention of preeclampsia and intrauterine growth restriction with aspirin started in early pregnancy: a meta-analysis. Obstet Gynecol. 2010;116: 402–414. doi:10.1097/AOG.0b013e3181e9322a
3. Maynard SE, Min J-Y, Merchan J, Lim K-H, Li J, Mondal S, et al. Excess placental soluble fms-like tyrosine kinase 1 (sFlt1) may contribute to endothelial dysfunction, hypertension, and proteinuria in preeclampsia. J Clin Invest. 2003;111: 649–658. doi:10.1172/JCI17189
4. Levine RJ, Maynard SE, Qian C, Lim K-H, England LJ, Yu KF, et al. Circulating angiogenic factors and the risk of preeclampsia. N Engl J Med. 2004;350: 672–683. doi:10.1056/NEJMoa031884
5. Oliveira N, Magder LS, Blitzer MG, Baschat AA. First-trimester prediction of pre-eclampsia: external validity of algorithms in a prospectively enrolled cohort. Ultrasound Obstet Gynecol Off J Int Soc Ultrasound Obstet Gynecol. 2014;44: 279–285. doi:10.1002/uog.13435
6. Poon LCY, Kametas NA, Maiz N, Akolekar R, Nicolaides KH. First-trimester prediction of hypertensive disorders in pregnancy. Hypertension. 2009;53: 812–818. doi:10.1161/HYPERTENSIONAHA.108.127977
7. Thadhani R, Mutter WP, Wolf M, Levine RJ, Taylor RN, Sukhatme VP, et al. First trimester placental growth factor and soluble fms-like tyrosine kinase 1 and risk for preeclampsia. J Clin Endocrinol Metab. 2004;89: 770–775. doi:10.1210/jc.2003-031244
8. Poon LC, Nicolaides KH. Early prediction of preeclampsia. Obstet Gynecol Int. 2014;2014: 297397. doi:10.1155/2014/297397
9. Akolekar R, Syngelaki A, Poon L, Wright D, Nicolaides KH. Competing risks model in early screening for preeclampsia by biophysical and biochemical markers. Fetal Diagn Ther. 2013;33: 8–15. doi:10.1159/000341264
10. Kenny LC, Black MA, Poston L, Taylor R, Myers JE, Baker PN, et al. Early pregnancy prediction of preeclampsia in nulliparous women, combining clinical risk and biomarkers: the Screening for Pregnancy Endpoints (SCOPE) international cohort study. Hypertension. 2014;64: 644–652. doi:10.1161/HYPERTENSIONAHA.114.03578
11. Myatt L, Clifton RG, Roberts JM, Spong CY, Hauth JC, Varner MW, et al. First-trimester prediction of preeclampsia in nulliparous women at low risk. Obstet Gynecol. 2012;119: 1234–1242. doi:10.1097/AOG.0b013e3182571669
12. Myers JE, Kenny LC, McCowan LME, Chan EHY, Dekker GA, Poston L, et al. Angiogenic factors combined with clinical risk factors to predict preterm pre-eclampsia in nulliparous women: a predictive test accuracy study. BJOG Int J Obstet Gynaecol. 2013;120: 1215–1223. doi:10.1111/1471-0528.12195
13. Crovetto F, Figueras F, Triunfo S, Crispi F, Rodriguez-Sureda V, Dominguez C, et al. First trimester screening for early and late preeclampsia based on maternal characteristics, biophysical parameters, and angiogenic factors. Prenat Diagn. 2014; doi:10.1002/pd.4519

 
Les articles sont édités sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Les informations fournies sur www.gyneco-online.com sont destinées à améliorer, non à remplacer, la relation directe entre le patient (ou visiteur du site) et les professionnels de santé.