Quel âge limite pour le père en Assistance Médicale à la Procréation ?

Résumé de la session de la FFER 2016 (Patrice CLEMENT) : âge du père et AMP : éléments du débat...

Depuis la première Loi de Bioéthique (1994), l’Assistance Médicale à la Procréation en France est limitée, entre autre, aux personnes en couple et en âge de procréer. Cette notion « d’âge de procréer » représente une réalité physiologique dans la vie d’une femme, avec la limite de la ménopause. Chez l’homme, la notion d’âge de procréer peut être « sans limite » jusqu’à sa mort. Dans ces conditions, on pourrait considérer que la Loi de Bioéthique permet l’accès à l’AMP pour un homme, sans limite d’âge.
Les praticiens de l’AMP sont de plus en plus souvent confrontés à des consultations de couples infertiles pour lesquels l’homme a un âge « avancé ». La question se pose donc de savoir jusqu’à quelle limite d’âge chez l’homme une prise en charge en AMP peut être acceptée.
Depuis sa création en 2005, l’Agence de le Biomédecine à travers ses différentes instances (Conseil d’Orientation, Conseil Médicale et Scientifique) ne s’est pas prononcé sur ce sujet, et aucune limite d’âge chez l’homme en AMP n’a été proposée.
Les professionnels de l’AMP se posent pourtant la question de cette limite d’âge chez l’homme, en raison des conséquences chez l’enfant à naître ; à la fois pour des raisons médicales et psychologiques.
Au cours du dernier congrès de la FFER (2016), la session du GEFF (Groupe d’Etude de la Fertilité en France) a porté sur ce thème : « Age du père en AMP : éléments du débat ».
 

Geoffroy ROBIN a abordé les conséquences de l’âge du père sur les résultats en AMP et la santé des enfants. Depuis quelques années de plus en plus de publications montrent qu’au-delà de l’altération des paramètres du sperme avec l’âge, il y a des conséquences à la fois sur les grossesses spontanées mais également sur les succès en AMP : diminution des taux de grossesses en Insémination Intra-utérine, augmentation du taux de fausses couches. Certaines maladies autosomiques dominantes comme l’achondroplasie présentent un risque d’apparition chez l’enfant augmenté avec l’âge du père (Sharma R et col). Les anomalies chromosomiques comme certaines aneuploïdies (ex : trisomie 21) ont également un risque relatif significativement augmenté si l’homme à plus de 50 ans. Mais il semble qu’il y ait également une augmentation de certaines maladies potentiellement liées à des causes épigénétiques (Sisi Song et col ; Hitoshi Hiura et col). Ainsi la méta-analyse de Sharma montre que le risque de trouble bipôlaire est multiplié par 25 si le père a plus de 45 ans et que le risque d’autisme est multiplié par 6 si le père a plus de 50 ans. Ces augmentations de risque de maladie pour l’enfant à naître ne peuvent pas être ignorées par les équipes pluridisciplinaires devant répondre à ces demandes.

Serge HEFEZ a abordé les aspects psychologiques de ces questions et nous a parlé de la construction de l’enfant à travers son père. La présence d’un père plus âgé, peut permettre que celui-ci passe plus de temps avec son enfant ce qui pourrait sembler être un élément positif. Ceci étant « le rôle du père est également de faire prendre conscience à l’enfant du monde qui l’entoure… en partie en s’opposant aux désirs de l’enfant. ». Il n’est pas certain qu’un père plus âgé ait l’envie d’entrer dans ce processus d’opposition. Il nous dit aussi que « un des rôles du père est d’encourager son fils à le dépasser, à s’opposer à lui dans une compétition œdipienne ». Dans le cas d’un père plus âgé, cette confrontation sera plus difficile pour l’enfant qui n’osera pas s’opposer à son père. Il peut même y avoir un sentiment de culpabilité de l’enfant vis à vis de ce père plus âgé qu’il souhaitera plutôt surprotégé. Il est également possible que l’enfant éprouve une sorte de honte à avoir un père plus âgé, et soit gêné vis à vis de ses camarades qu’ils voient un père de 70 ans ou 80 ans. Un autre élément peut être difficile à gérer à la fois pour le père et pour l’enfant, c’est la problématique familiale plus globale : présence des enfants d’un premier mariage du père qui peuvent mal supporter l’arrivé de ce demi-frère ou de cette demi-sœur source potentiel de conflit ; absence de grands-parents pour cet enfant de père plus âgé.

Joëlle BELAISH ALLART a abordé ensuite la question de savoir s’il faut légiférer sur ce sujet. Même si la majorité des paternités tardives surviennent spontanément, en cas d’infertilité du couple, la question revient régulièrement au sein des équipes d’AMP, qui ont parfois du mal à se positionner sur la réponse à donner à un couple infertile avec un homme plus âgé.
Quelle doit être la limite de l’âge de l’homme pour une prise en charge en AMP ?
Quelle doit être la limite d’âge de l’homme au-delà de laquelle il n’y aurait plus de prise en charge par l’assurance maladie (au même titre que la limite de 43 ans chez la femme) ?
Au sein même des équipes, les avis peuvent diverger et l’accord de l’équipe pluri-disciplinaire est parfois difficile à obtenir. Il est certain que la situation n’est pas la même si l’indication de l’AMP est d’origine féminine, sans cause apparemment masculine ou si l’origine de l’infertilité est masculine, potentiellement à cause de l’âge de l’homme. Afin d’essayer de répondre à ces questions, il était intéressant de connaître l’avis des professionnels de l’AMP qui sont régulièrement confrontés à ces questions. Un questionnaire a donc été envoyé d’une part aux professionnels de l’AMP par les différentes sociétés savantes (BLEFCO : Biologistes des Laboratoires d’Etude de la Fertilité et de la Conservation de l’œuf ; GEFF : Groupe d’Etude de la Fertilité en France ; SALF : Société d’Andrologie de Langue Française et SMR : Société de Médecine de la Reproduction) s’occupant de reproduction en France, et d’autre part aux gynécologues par la Société Française de Gynécologie, le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français, et la Fédération Nationale des Gynécologues Médicaux. Pour les professionnels de l’AMP, les réponses montrent une majorité pour fixer une limite de prise en charge à 60 ans pour l’homme. Cette limite est un peu plus basse pour les gynécologues ne pratiquant pas l’AMP puisqu’elle se situe en moyenne à 55 ans. Une étude initiée par l’ABM a également montré que dans la majorité des centres d’AMP français, la limite fixée par l’équipe est de 60 ans pour l’homme. Cette enquête a donc montré que les équipes sont majoritairement pour fixer une limite dans leurs pratiques. Mais ce n’est pas le cas dans certains centres qui acceptent de prendre en charge en AMP des hommes âgés de plus de 60 ans.
Par contre les enquêtes précédentes, même si elles doivent être analysées avec prudence dans la mesure où le nombre de réponses est relativement limité, montrent que les avis sont très partagés pour que cette limite d’âge soit fixée par la Loi. Les praticiens pratiquant l’AMP souhaitent majoritairement une limite fixée par la Loi, leurs permettant peut être ainsi de pouvoir s’appuyer sur un texte législatif quand ils refusent la prise en charge d’un homme âgé ; la limite pouvant être fixée à 60 ans. Les arguments des professionnels de l’AMP sont principalement médicaux (problèmes génétiques et épigénétiques).
Les praticiens ne réalisant pas d’actes d’AMP sont beaucoup plus partagés sur cette question. Il est certain que les situations de ces couples où l’homme est âgé, sont très différentes les unes des autres, et que fixer cette limite dans la Loi serait arbitraire, et peut être injuste dans certains cas. La notion « d’âge de procréer » notée dans la Loi est suffisamment floue chez l’homme pour permettre ainsi aux équipes de prendre des décisions au cas par cas.

Il est probable que ce sujet soit de nouveau à l’ordre du jour de la prochaine révision de la Loi de Bioéthique, et que les enquêtes précédentes fassent évoluer la Loi sur ce sujet et fixe une limite de prise en charge en AMP en fonction de l’âge de l’homme, à la fois en terme de prise en charge par l’assurance maladie mais aussi sur un plan médical.

Références
Effects of increased paternal age on sperm quality, reproductive outcome and associated epigenetic risks to offspring.
Sharma R, Agarwal A, Rohra VK, Assidi M, Abu-Elmagd M, Turki RF.
Reprod Biol Endocrinol. 2015 Apr 19;13:35
Imprinting methylation errors in ART.
Hiura H, Okae H, Chiba H, Miyauchi N, Sato F, Sato A, Arima T.
Reprod Med Biol. 2014;13(4):193-202
DNA methylation differences between in vitro- and in vivo-conceived children are associated withART procedures rather than infertility.
Song S, Ghosh J, Mainigi M, Turan N, Weinerman R, Truongcao M, Coutifaris C, Sapienza C.
Clin Epigenetics. 2015 Apr 8;7:41
[Male age in assisted reproductive technologies: Is there a limit?]
Belaisch-Allart J, Ouazana M, Bailly M, Selva J, Kulski O, Boitrelle F.
Gynecol Obstet Fertil. 2016 Dec;44(12):712-715

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