Pertinence clinique des normes 2010 de l’OMS pour le spermogramme

ANALYSE D'ARTICLE

Clinical relevence of routine semen analysis and controversies surronding the 2010 World Health Organization criteria for semen analysis.
Int Braz J Urol. 2014 ; 40 : 443-53
Sandro C. Esteves
 

L’analyse du sperme est à la base de l’exploration de la fertilité chez l’homme. Les méthodes d’examen du sperme et les valeurs de références sont données par un manuel de l’OMS qui est mis à jour régulièrement. Depuis le premier manuel de l’OMS sur le sujet, publié en 1980, les éditions suivantes datent de 1987, 1992, 1999 et enfin 2010. Régulièrement les références de normalités des différents paramètres du sperme sont abaissées par rapport au manuel précédent. Ces diminutions des valeurs dites « normales » ont donné lieux à différents débat sur la prise en charge des couples infertiles en fonction de ces résultats (Murray KS et al, 2012 ; Yerram N et al, 2012).

Dans le manuel de l’OMS, entre la version de 1999 et celle de 2010, pour les valeurs dites normales ou usuelles, le volume de sperme est passé de ≥2ml à ≥1,5 ml, la numération des spermatozoïdes de ≥20 M/ml à ≥15M/ml, la mobilité totale de ≥50% à ≥40 %. Le pourcentage de formes typiques des spermatozoïdes ne peut pas être comparé dans la mesure où la technique préconisée par l’OMS n’est pas la même en 1999 et en 2010.

Il est certain que ces diminutions de valeurs usuelles interpellent les cliniciens dans leurs évaluations de l’exploration de la fertilité masculine et dans la prise en charge de ces patients.

L’auteur de cette publication a souhaité après une réflexion sur l’explication de ces valeurs abaissées, proposer une approche plus pratique dans l’utilisation de ces nouvelles valeurs du spermogramme.

L’auteur rappelle que les caractéristiques du sperme entre une population d’hommes fertiles et d’hommes infertiles sont assez mal définies, entre autre de par les variations importantes de ces valeurs chez le même patient au cours du temps. Ainsi une étude (Alvarez C et al, 2003) réalisée chez des sujets sains explorant les paramètres du sperme plusieurs semaines de suite montre des variations allant jusqu’à 27 % pour la concentration, 20 % pour la morphologie et 15 % pour la mobilité.

L’auteur rappelle également que le spermogramme n’explore pas la totalité de la capacité fécondante d’un sperme, puisque des éléments comme la qualité du noyau (fragmentation et décondensation de l’ADN spermatique) ne sont pas analysés dans cet examen. Or les altérations de la qualité de l’ADN du spermatozoïde sont des évènements relativement fréquents car secondaire à plusieurs causes : stress oxydant endogène,   processus apoptotiques, toxiques environnementaux... Ces altérations de l’ADN du noyau perturbent les capacités de fécondation du sperme et le développement embryonnaire en cas de fécondation. L’auteur précise que ces anomalies de la qualité de l’ADN du sperme peuvent se rencontrer avec des spermes dont les valeurs du spermogramme sont normales. Il n’y a donc dans ce cas, aucun signe d’appel au niveau du spermogramme (Zini A et al, 2001).

L’auteur insiste également sur les variations très importantes que l’on rencontre entre les résultats des différents laboratoires, comme le montre les résultats de contrôle qualité du spermogramme dans les laboratoires anglais. Ces mêmes études montrent que les laboratoires ne réalisent pas forcement cet examen dans les meilleurs conditions pré-analytiques puisque seulement 60 % des laboratoires anglais demandent aux patients le délai d’abstinence avant de faire le spermogramme et que seulement 50 % d’entre eux réalisent un contrôle de qualité interne. Ces résultats sont confirmés par une autre étude (Alvarez C et al, 2005) qui, sur des résultats de contrôles qualité inter-laboratoires montrent des variations de 34 % pour la concentration en spermatozoïdes, de 20 % pour la mobilité, de 40 % pour la vitalité et de 70 % pour la morphologie (sur les critères stricts).

Pour la première fois, le manuel 2010 de l’OMS a réalisé son étude sur des hommes ayant été père dans la dernière année avant le spermogramme réalisé pour l’étude. Les laboratoires participant étaient tous des laboratoires réalisant des contrôles qualité internes et externes. En dessous du 5e percentile, les valeurs des paramètres du spermogramme étaient considérées comme basses (Cooper TG et al, 2010). Les résultats ainsi obtenus se sont révélés être plus bas que les résultats obtenus dans la précédentes édition du Manuel de l’OMS.

L’auteur précise que les volontaires ayant permis de réaliser le Manuel de l’OMS ne prennent pas en compte toute une partie de la population mondiale, mais uniquement des hommes de l’hémisphère nord. D’autre part, un seul spécimen de sperme a été analysé pour chaque homme, excluant la possibilité de variabilités individuelles qui, comme nous l’avons vu, peuvent être importantes.

Certains auteurs ont conclu devant ces résultats diminués des paramètres du sperme, que les causes pouvaient être l’augmentation des perturbateurs endocriniens ou autres polluant environnementaux (Sadeu JC et al, 2010).

L’auteur de cette publication pense quant à lui que ces diminutions des valeurs usuelles du spermogramme peuvent également être liées à la sélection des patients, mais aussi à un plus haut niveau de contrôles des laboratoires et bien sûr à la méthode différente d’analyse de la morphologie par les critères stricts.

Ces nouvelles valeurs abaissées dans le Manuel 2010 de l’OMS modifient les critères diagnostic utilisés par les cliniciens pour évoquer une cause d’infertilité masculine. Ainsi des hommes présentant des valeurs considérées comme pathologiques avec les références du Manuel de 1999, deviennent « normales » avec celui de 2010. Ces résultats ont également des conséquences sur les propositions de traitements qui peuvent être faites aux patients. Les prises en charge peuvent être différentes, comme par exemple pour les patients présentant une varicocèle à qui une embolisation peut être proposée si les paramètres spermatiques sont anormaux (Practice Commitee of American Society for Reproductive Medecine, 2008).

L’ensemble de ces éléments incitent l’auteur de cette publication a insisté sur l’aspect subjectif des résultats d’un spermogramme pris isolément. Les résultats d’un spermogramme doivent être pris avec circonspection par rapport aux valeurs dites normales proposées par le Manuel 2010 de l’OMS. Il rappelle également qu’il est important de ne pas s’arrêter à cet examen dans l’exploration de l’homme dans le couple infertile. Les examens cliniques, les interrogatoires du patient sont fondamentaux, et des explorations endocriniennes, voir génétiques doivent également être envisagées.

Le laboratoire d’andrologie de l’auteur de cette publication a ainsi modifié les comptes rendus de résultats des spermogrammes de ses patients, en retirant les notions de valeurs limites et en intégrant dans la conclusion des résultats les références de l’intervalle des 5e, 50e et 95e percentile. Cette modification permet de ne plus rendre un paramètre comme normal ou anormal mais de replacer le résultat pas rapport à un intervalle plus large. L’auteur pense également qu’il ne faut plus utiliser les mots asthéno, oligo ou térato-zoospermie qui peuvent porter à confusion.

Il propose ainsi de noter dans la conclusion le tableau suivant :

VALEURS DE RÉFÉRENCE DU SPERMOGRAMME (OMS 2010)

 

Limite basse (5e percentile)

Médiane (50e percentile)

Limite haute (95e percentile)

Volume (ml)

1,5

3,7

6,8

Concentration (M/ml)

15,00

73,00

213,00

Mobilité totale (%)

40

61

78

Mobilité progressive (%)

32

55

72

Vitalité (%)

58

79

91

Formes typiques (%)

4

15

44

Analyse de l’article

Cet article rappelle une nouvelle fois que les paramètres du sperme varient énormément au cours du temps chez un même patient, parfois sans réelles explications et que les normes utilisées dans le Manuel de l’OMS doivent être pris avec un certain recul. Il est également très important de contrôler systématiquement un spermogramme anormal à distance du premier recueil et d’interroger le patient afin de connaître le contexte d’une éventuelle altération du spermogramme. Dans ce contexte, la consultation d’un andrologue doit être rapidement proposée au patient pour une meilleure prise en charge.

Il est certain que les valeurs plus basses des nouvelles normes de l’OMS, notamment en ce qui concerne le spermocytogramme (critères stricts) peuvent être perturbantes pour certains cliniciens. Comment penser qu’à 3 % de formes typiques un spermocytogramme est « anormal » et qu’à 5 % il est « normal ». Et ceci d’autant plus que, comme le dit l’auteur, les variations inter-laboratoires, et parfois même au sein d’un même laboratoire, sont importantes.

En France, les laboratoires se sont engagés dans un processus d’accréditation nécessitant la mise en place d’un contrôle de qualité interne. Celui-ci passe entre autre par des comparaisons régulières de lectures de la concentration, de la mobilité, du spermocytogramme d’un même échantillon entre les différents intervenants du même laboratoire, permettant ainsi d’harmoniser la lecture et le rendu des résultats dans le même laboratoire. En cas de dérive de lecture d’un des techniciens ou biologistes dans ces comparaisons, une nouvelle formation doit être envisagée afin que celui-ci soit de nouveau habilité à ces techniques. Ceci étant, l’observation des résultats des contrôles de qualité dit « externes » (un même échantillon lu par différents laboratoires : comparaison inter-laboratoires) montre des dispersions très importantes dans les résultats qui sont rendus ; ceci devant inciter les cliniciens à garder un esprit critique dans l’analyse des résultats d’un spermogramme et à faire réaliser ces examens dans un laboratoire ayant une expertise dans ce domaine, voir dans un laboratoire accrédité pour la spermiologie. Dans ces laboratoires, une prestation de conseil auprès du clinicien peut être réellement mise en place et orienter celui-ci vers d’autres examens permettant de compléter efficacement le spermogramme pour une meilleure prise en charge du couple infertile.

 

RÉFÉRENCES

Murray KS, James A, McGeady JB, Reed ML, Kuang WW, Nangia AK.
Fertil Steril. 2012 Dec;98(6):1428-31
The effect of the new 2010 World Health Organization criteria for semen analyses on male infertility.

Yerram N, Sandlow JI, Brannigan RE.
J Androl. 2012 May-Jun;33(3):289-90
Clinical implications of the new 2010 WHO reference ranges for human semen characteristics.

Alvarez C, Castilla JA, Martínez L, Ramírez JP, Vergara F, Gaforio JJ.
eprod. 2003 Oct;18(10):2082-8
Biological variation of seminal parameters in healthy subjects.

Zini A, Bielecki R, Phang D, Zenzes MT.
Fertil Steril. 2001 Apr;75(4):674-7
Correlations between two markers of sperm DNA integrity, DNA denaturation and DNA fragmentation, in fertile and infertile men.

Alvarez C, Castilla JA, Ramírez JP, Vergara F, Yoldi A, Fernández A, Gaforio JJ.
J Assist Reprod Genet. 2005 Dec;22(11-12):379-87
External quality control program for semen analysis: Spanish experience.

Cooper TG, Noonan E, von Eckardstein S, Auger J, Baker HW, Behre HM, Haugen TB, Kruger T, Wang C, Mbizvo MT, Vogelsong KM.
Hum Reprod Update. 2010 May-Jun;16(3):231-45
World Health Organization reference values for human semen characteristics.

Sadeu JC, Hughes CL, Agarwal S, Foster WG.
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Alcohol, drugs, caffeine, tobacco, and environmental contaminant exposure: reproductive health consequences and clinical implications.

Practice Committee of American Society for Reproductive Medicine.
Fertil Steril. 2008 Nov;90(5 Suppl):S247-9
Report on varicocele and infertility.

 
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