Médecine Thérapeutique : Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie Volume 15, Numéro 2, avril-mai-juin 2013. LA GREFFE D’UTERUS

Jacqueline MANDELBAUM et Pascal PIVER coordonnent ce numéro de Médecine Thérapeutique sur le thème de la transplantation utérine.

Dans son éditorial, Jacqueline MANDELBAUM nous présente cette technique comme étant une innovation en médecine de la reproduction.

Jean marie ANTOINE (Hôpital Tenon, Paris) nous parle ensuite des indications qui peuvent être retenues. Avant cela, il précise les conditions d’accès qui devraient être discutées : femme âgées si possible de moins de 38 ans, sans contre indication médicale à la grossesse et à la transplantation d’organe, avec un facteur utérin absolu d’infertilité et une réserve ovarienne normale ou peu altérée. Les indications qui pourraient être retenues sont les absences congénitales utérines ou les agénésies utérines comme dans le cas du syndrome de Mayer Rotikanski Küster Hauser, les absences acquises d’utérus dues à une hystérectomie à un âge jeune (hémorragie grave du post partum, dans les suites d’une césarienne, pathologie cancéreuse du col ou du corps de l’utérus). Il précise toutefois que cette méthode reste expérimentale et que de nombreux problèmes techniques et éthiques doivent encore être résolus.

Dans le chapitre suivant, Tristan Gauthier, Pascal Piver, Pierre Marquet, Claude Couquet et Yves Aubard (CH Dupuytren, Limoges) nous présentent les expérimentations animales de la transplantation utérine. Depuis plus de 10 ans, de nombreux travaux ont été réalisés sur différentes espèces animales (souris, rat, cochon, brebis, et singe), avec obtention de grossesses dans certaines espèces. Ces travaux ont également permis d’appréhender les problématiques liées aux durées d’ischémie de l’organe, aux phénomènes de rejets du greffon, à l’impact de l’immunosuppression. Ces travaux ont permis de montrer qu’un utérus transplanté, ayant subi une étape d’ischémie et de reperfusion est capable de supporter une grossesse, même si les données sont encore relativement faibles en ce qui concerne les grossesses.

Les mêmes auteurs de l’équipe de Limoges (Tristan Gauthier, Pascal Piver, Pierre Marquet, Nicolas Pichon, Angélique Guillaudeau, Mireille Drouet, Marc Laskar, Marie Essig et Yves Aubard) font ensuite un état des lieux actuel de la transplantation utérine chez l’humain, solution qui pourrait être une alternative à la gestation pour autrui ou à l’adoption chez les femmes présentant une infertilité de cause utérine. Les auteurs rappellent que l’expérimentation animale, même si elle est parfois suivie de succès, n’est pas forcément une preuve de faisabilité chez l’humain. Aujourd’hui, seules trois équipes dans le Monde ont réalisé une transplantation utérine.

Une équipe saoudienne (Fageeh W et col, 2002) a réalisé la première transplantation utérine qui a été suivie d’une nécrose du greffon à cause d’une vascularisation insuffisante de celui ci.

Une équipe turque (Ozkan O et col, 2012) a récemment réalisée une transplantation utérine chez une femme présentant un syndrome de Rotikansky, avec un utérus prélevé chez une femme en état de mort cérébrale. Une traitement utilisant trois immunosuppresseur a permis de ne pas avoir de rejet de greffe à + 12 mois et des règles sont apparues au 2ème mois après la transplantation.

L’équipe suédoise du Pr Brännström est également engagée dans un protocole de recherche sur ce sujet depuis septembre 2012.

Aucune grossesse après transplantation utérine n’a été décrite à ce jour.

Les auteurs de ce chapitre précise ensuite quelles pourraient  être les donneuses ; vivantes ou en état de mort cérébrale avec les avantages et des inconvénients dans les deux cas, à la fois médicaux et éthiques. Ils s’interrogent également sur la possibilité d’un prélèvement d’utérus dans le cadre d’un prélèvement multi-organes, sans être délétère pour le prélèvement des organes vitaux intra-thoraciques et intra-abdominaux. Il est à noter que l’Agence de la Biomédecine a donné son accord pour que le prélèvement d’utérus puisse être réalisés à titre scientifique au moment d’un prélèvement multi-organe. Il est également précisé que l’âge de la donneuse n’est pas un problème, un utérus « âgés » pouvant porter une grossesse (Soares SR, Troncoso C et col, 2005).

L’équipe de Limoges précise qu’il doit y avoir certains prérequis pour la receveuse : patiente en bonne santé, indice de masse corporelle normal, âge inférieur à 35 ans, réserve ovarienne évaluée comme suffisante. D’après cette équipe, suite aux recherches sur l’animal  et aux progrès de l’immunosuppression en transplantation et des possibilités de grossesses chez les patientes transplantés d’un autre organe, la transplantation utérine peut maintenant être envisagée.

Dans le chapitre suivant, Eric Thervet (Hôpital Européen G Pompidou) fait le point sur 50 ans d’expérience de  grossesses chez des patientes transplantées et sous immunosuppresseur et précise que les registres existants sont rassurants pour les conséquences sur le fœtus même si des questions persistent sur les conséquences immunitaires et neurocognitives liées à l’utilisation des immunosuppresseurs.

Eva Weil (Hôpital Tenon, Paris) et François Villa (Université Paris Diderot Sorbonne) analyse si la greffe de cet organe, non vital, également lié au désir d’enfant, est particulier ou non sur le plan psychologique, et essaye de répondre à la question « le statut de l’utérus serait-il si singulier et si spécifique du point de vue subjectif qu’il serait impossible de le transplanter comme cela se fait avec d’autres organes ? »

Sans expérience clinique de ce type de don, en se référent à leur expérience sur le don de gamètes, ils nous éclairent sur ce que peuvent être les motivations des donneuses d’utérus ainsi que les mécanismes psychiques déjà décrits chez les donneuses.

Concernant la receveuse, la demande de greffe de cet organe non vital, ne répond pas seulement à un désir d’enfant mais surtout à un désir de vivre l’expérience de la grossesse ; motivation identique à celle exprimée par la femme dans le don d’ovocyte.

Dans un dernier chapitre, Jacqueline Mandelbaum nous parle des aspects éthiques de la greffe d’utérus. Elle nous rappelle que la réflexion éthique se développe depuis 2007 avec la demande par l’équipe de Giuseppe Del Priore, au comité d’éthique de l’Hôpital  New York, de l’autorisation pour une étude de greffe d’utérus chez l’humain ; demande pour laquelle il obtient une autorisation.

En 2012, sont mis en place les critères de Montréal (Lefkowitz A et col) qui proposent un ensemble de prérequis pour autoriser une greffe d’utérus :

  • chez la receveuse : femme en âge de procréer, en bonne santé, présentant une stérilité utérine congénitale ou acquise, ayant la possibilité de mener à bien une grossesse, ayant été informée des possibilités d’adoption, et ayant fait l’objet d’une évaluation psychologique
  • chez la donneuse vivante : femme en âge de procréer, ne présentant pas de contre indication médicale au don et aucun antécédent de pathologie utérine
  • concernant l’équipe médicale : elle doit faire partie d’une institution stable.

Tout manquement à l’un de ces critères serait une contre indication à la transplantation utérine.

Jacqueline Mandelbaum revient également dans cet article sur le consensus d’Indianapolis qui insiste sur la caractère temporaire de la transplantation utérine (uniquement pendant la période permettant d’obtenir l’enfant souhaité afin de ne pas prolonger la durée d’immunosuppression) et sur la nécessité d’attendre la ou les premières naissances afin d’évaluer la santé de l’enfant avant de multiplier cet acte dans le Monde. Elle revient également sur la problématique éthique d’un prélèvement d’utérus sur une donneuse décédée ou sur une donneuse vivante. En ce qui concerne la donneuse décédée, de part l’attitude et le questionnement des proches concernant le prélèvement d’un organe non vital et le risque de remettre en cause les autres prélèvements. Pour la donneuse vivante, peut on accepter les risques opératoires et les risques de complications pour le prélèvement d’un organe non vital ; ainsi que la problématique de l’abandon du projet parental de la donneuse et de ses conséquences psychologiques ?

Analyse.

Cette revue complète présente un état des lieux de la transplantation utérine dans le Monde aujourd’hui et montre les difficultés à la fois médicales, psychologiques et éthiques liées à cette activité. Devant l’absence de naissance suite à une transplantation utérine chez l’humain aujourd’hui, il est difficile de répondre à toutes les questions qui restent posées, notamment en ce qui concerne la bonne santé de l’enfant. Ces protocoles doivent donc être particulièrement encadrés afin que les évaluations soient faites sur la praticabilité du don multi-organes dans ce contexte (donneuse décédée), sur les conséquences pour les donneuses vivantes, les receveuses et les enfants nés de cette technique qui est à la frontière entre l’Assistance Médicale à la Procréation et la greffe d’organe.

 

Références.

Fageeh W, Raffa H, Jabbad H, Marzouki A. Transplantation of the human uterus. Int J Gynaecol Obstet 2002 ; 76 : 245-51

http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11880127
 

Aozkan O, Erman A et col. Preleminary results of the first human transplantation from a multiorgan donor. Fertil Steril 2012 ; 99 : 470-6.

http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23084266
 

Soares SR, Troncoso C, Bosch E et col. Age and uterine receptiveness : predicting outcome of oocyte donation cycles The Journal of clinical endocrinoloy and metabolism 2005 ; 90 : 4399-404

http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15797956
 

Lefkowitz A, Edwards M, Balaya J. The Montreal criteria for the ethical feasibility of uterine transplantation. Transplant international. 2012 ; 25 : 439-47.

http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22356169

 
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