La procréation médicalement assistée chez les célibataires, les homosexuels hommes ou femmes et les transsexuels. Groupe de travail de l'ESHRE.

À partir de l’article
ESHRE Task Force on Ethics and Law 23 : medically assisted reproduction on singles, lesbian and gay couples and transsexual people.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25052011
G.De Wert, W Dondortp, F Shenfield, P Barri, P Devroey, K Diedrich, B Tarlatzis, V Provoost and G Pennings.
Hum Reprod. Vol 19, N°9, 1859-1865, 2014

Un groupe de travail de l’ESHRE a mis en place une réflexion sur l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP) chez les personnes qui ne sont pas en couples hétérosexuels « classiques » : célibataires, homosexuels hommes ou femmes, personnes transsexuels. Ces demandes sont de plus en plus fréquentes et soulèvent des questions éthiques, certains cas étant très controversés.

État des lieux et constats

Le groupe de travail fait dans un premier temps un état de ses situations.

Concernant les femmes célibataires (le plus souvent hétérosexuels), l’insémination avec sperme de donneur est une solution possible mais assez peu d’études sur ce sujet existent.

Concernant les hommes célibataires, l’AMP est possible mais dans ce cas, la coopération d’une mère « porteuse » est nécessaire.

Chez les lesbiennes, deux solutions sont possibles. Soit l’une des deux femmes est inséminée avec un sperme de donneur, soit elle souhaite partager la maternité biologique. Dans ce cas, les ovocytes d’une des deux femmes sont fécondés en Fécondation In Vitro (FIV) avec un sperme de donneur et les embryons sont transférés chez l’autre femme (Marina et al, 2010).

 

Chez les hommes homosexuels, il est nécessaire d’avoir recours à une mère « porteuse » mais peu de données sont disponibles sur le nombre de demandes.

Le cas des personnes transsexuels est plus complexe, notamment car jusqu’à il y a peu de temps, le transsexualisme était considérée comme un trouble psychiatrique, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Les demandes d’AMP de ces personnes sont actuellement rares mais en augmentation. Bien que la plupart des personnes transsexuelles aillent former des relations hétérosexuelles après la transition, certaines ne le feront pas (De Sutter, 2001). Plusieurs solutions sont possibles en AMP. Dans le cas d’un homme transsexuel (transformation femme-homme), qui a une partenaire de sexe féminin, une insémination avec un sperme de donneur est possible. Dans le cas d’une femme transsexuelle (transformation homme-femme), qui a un partenaire de sexe masculin, un enfant peut être conçu avec une donneuse d’ovocytes et une mère porteuse. Chez les personnes transsexuelles, la préservation des gamètes avant transformation doit également être envisagée.

Le groupe de travail considère que la transplantation d’utérus ne peut pas être envisagée aujourd’hui dans ces situations et qu’elle ne sera pas évoquée dans ce document.

Il est certain que pour ces différentes catégories, les situations ne sont pas forcément celles décrites plus haut ; par exemple une femme transsexuelle pouvant s’engager dans une relation lesbienne.

Les prises en charge de ces situations sont très différentes en fonction des pays. Certains pays interdisent la prise en charge en AMP pour des personnes qui ne sont pas en couple « classique », avec une indication médicale d’infertilité.  Même dans les pays les plus libéraux dans ce domaine, les cliniques acceptent plus facilement de prendre en charge en AMP, les situations de femmes célibataires ou de femmes homosexuelles que les situations de couples homosexuels hommes ou de personnes transsexuelles.

Problèmes éthiques

Différents problèmes éthiques sont liés à ces situations. Même si classiquement le « droit » de se reproduire concerne les seuls couples hétérosexuels, ce point de vue exclusif est problématique au regard de l’autonomie des personnes. D’autre part, la reconnaissance du droit des personnes homosexuelles, comme citoyens, a été mis en avant par les groupes de personnes gays et lesbiennes pour voir le droit de se reproduire au même titre que d’autres personnes. Certains pays ne reconnaissent pas ces droits, et refusent l’accès de ces personnes à l’AMP, considérant que ce n’est pas conciliable avec les objectifs de la médecine. Le groupe de travail de l’ESHRE se demande si ces objections sont valables, tenant surtout compte de l’importance à accorder à l’autonomie de la personne.

Il est certain que l’accès à l’AMP dans ces situations va satisfaire les demandeurs, mais il est important de réfléchir aux conséquences médicales et/ou psychologiques pour les personnes y ayant accès et surtout pour les enfants qui en sont issus. Le risque principal pour l’enfant étant de grandir dans une famille « non conventionnelle ». Les membres du groupe de travail notent que des études empiriques, notamment sur les couples de lesbiennes, sur ces sujets sont plutôt rassurantes (Golombok et Badger, 2010), même si les données sont limitées et peut être biaisées par le fait que beaucoup de personnes dans ces situations ne souhaitent pas répondre à ces questions.

Il y a beaucoup moins de données concernant les enfants élevés par les couples d’hommes homosexuels, mais les quelques études publiées ne semblent pas montrer que les enfants soient affectés par ces situations (Hasting et al, 2006 ; Greenfeld, 2007, Golombok et al, 2014).

Concernant les transsexuels, les données sont encore plus limitées. Il semble que les hommes transsexuels aient moins de problèmes psychologiques, aient des relations plus stables avec leurs compagnes féminines et soient socialement mieux intégrés que les femmes transsexuelles (Baetens, 2003) ; il n’y a pratiquement pas d’études des conséquences chez l’enfant d’avoir un parent transsexuel, même si une étude suggère qu’il n’y a pas d’impact (Chiland et al, 2013).

Dans ces discussions sur l’accès à l’AMP pour les couples non conventionnels, il faut aussi prendre en considération les risques majeurs médicaux que sont les risques de l’hyperstimulation ovarienne en vue de préservation de la fertilité avant changement de sexe, le risque inhérent à la grossesse et à l ‘accouchement pour les mères porteuses. Ceci étant, si un risque majeur est accepté pour une demande « standard », il ne serait pas juste de ne pas l’accepter pour une demande « non standard » à partir du moment où elle est moralement acceptable (Penning, 2011).

Le groupe de travail note également le poids de la critique de la société pour ces situations qui n’entrent pas dans le cadre de la famille « classique », bien que ces critiques soient le plus souvent d’ordre religieux. Ils  soulignent également  que ces critiques jouent un rôle possible sur les conséquences psychologiques pour les enfants.

Considérations particulières

Concernant les objectifs de la médecine.

Il est important d’avoir une réflexion sur ces prises en charge non standard en AMP afin de savoir si elles vont contre les objectifs de la médecine.

Il est clairement accepté que les médecins doivent utiliser leurs compétences que dans le cas où il existe une indication médicale, soit pour prévenir des maladies, soit pour guérir des malades. Dans le contexte de l’AMP, la prise en charge par un médecin se fait dans un cadre de sub-fertilité ou d’infertilité. La problématique se pose donc dans ces situations de demande d’AMP non conventionnelles.

Cependant, il y a des visions moins restrictives des objectifs de la médecine d’autant plus que les limites entre les indications médicales et non-médicales ne sont pas toujours bien établies. Il y a effectivement des solutions médicales à des situations non médicales et y compris dans le domaine de la reproduction. Le groupe de travail donne l’exemple des cas de stérilisation de personnes alors que la fécondité n’est pas une maladie, ou encore de l’interruption volontaire de grossesse alors que la grossesse non désirée n’est pas non plus une maladie. C’est aussi le cas en AMP où l’on peut prendre en charge une femme qui se rapproche de sa « fin de vie reproductive », celle-ci n’étant pas considérée là encore comme une maladie. Beaucoup de personnes ont une vision moins restrictive de la notion de bonne ou de mauvaise santé et intègre dans cette dernière des indications non purement médicales faisant intervenir les conventions sociales et l’image que la société renvoie à certaines personnes (Richman, 2004)., et notamment dans le domaine de l’AMP, la reconnaissance sociale importante d’avoir des enfants. Dans ces conditions, pourquoi proposer l’AMP dans ces situations non conventionnelles, ne serait pas considéré comme une amélioration de la santé de personnes concernées.

Concernant le bien être de l’enfant

L’argument du bien-être de l’enfant est, dans la plupart des cas, mis en avant et considéré comme un des éléments le plus important. Ceci étant, ce critère est difficilement appréciable, du fait de normes d’évaluation différentes. La famille composée de parents hétérosexuels est considérée comme « l’étalon-or ». En fonction de ce critère, un enfant élevé dans une autre situation (famille « non standard ») que ce qui est considéré comme le groupe contrôle, et qui présenterait des difficultés, va disqualifier automatiquement cette famille. Il n’est pas pour autant démontré que la qualité de vie de cet enfant soit inacceptable. Néanmoins, les professionnels impliqués doivent au cas par cas évaluer si telle ou telle famille pourrait comporter un risque de préjudice grave pour le futur enfant (ESHRE 2007).

En ce qui concerne les femmes célibataires, les membres du groupe pensent qu’il est possible que l’isolement social de ces femmes puisse entrainer un risque de préjudice important pour l’enfant et qu’à ce titre, il semble raisonnable de proposer à ces femmes en demande d’AMP non conventionnelle, une consultation psychologique, même si l’on peut penser que la majorité de ces femmes n’ont pas de problème important.

Concernant les couples de lesbiennes, il y a des preuves assez solides démontrant que les enfants se portent bien et qu’il n’y a pas de raison d’être inquiet.

Concernant les couples d’hommes homosexuels, il n’y a pas de preuves en faveur d’un risque en ce qui concerne les enfants, et à moins qu’il existe une raison valable de voir le dossier de manière plus approfondie, il n’y a pas de raison de ne pas répondre à leurs demandes d’AMP.

Les membres du groupe soulignent également que refuser l’accès à l’AMP aux couples homosexuels va également à l’encontre des conditions d’adoption d’enfants qui sont de plus en plus permissives.

Concernant les personnes transsexuels, les réticences sont beaucoup plus fortes, même si en tenant compte des quelques données existantes, certes empiriques, les risques ne semblent pas importants, tout en notant que les hommes transsexuels ont des profils différents des femmes transsexuels. Le groupe de travail considère que dans ces cas, il est de la responsabilité du professionnel de prendre les situations au cas par cas, de faire évaluer la composante psychologique de la personne, notamment en prenant en compte la situation de cette personne pendant son enfance (Baetens, 2003).

Dans les pays où l’homosexualité et le transsexualisme sont socialement condamnés, il y a un risque pour l’enfant de se voir socialement exclu. Les membres du groupe de travail considèrent que le rôle des professionnels impliqués dans la médecine de la reproduction est également de mieux informer le public et des décideurs vis à vis de ces situations, y compris afin de les faire évoluer.

Concernant l’objection de conscience et désobéissance civile

Le groupe de travail précise également que les médecins ont tout à fait le droit de ne pas accepter de réaliser des AMP dans ces situations non standard, mais qu’en ce cas, ils ne doivent pas refuser d’orienter leurs patients vers des professionnels acceptant cette prise en charge.

Une autre situation à laquelle peut être confronté le professionnel de la reproduction, notamment dans le domaine de l’AMP de situation non standard, est la désobéissance à une Loi en réalisant un acte qu’il considère comme moralement acceptable, par rapport à une situation qu’il considère comme injuste pour le patient. Les professionnels du groupe de travail considèrent qu’il est aussi du rôle du médecin d’agir pour une cause qui lui semble juste, et ceci dans l’optique également de faire changer la Loi. L’exemple a été donné par le passé, par des médecins qui ont accepté d’aider des femmes à interrompre leurs grossesses, dans des pays où cela était interdit.

Concernant les maternités biologiques « partagées »

La maternité biologique « partagées » implique que, dans un couple de lesbienne, l’une des deux partenaires fournit les ovocytes qui seront fécondés par un donneur de sperme et que les embryons issus de cette fécondation soient transférés chez l’autre partenaire du couple. Cette possibilité, plus couteuse qu’une simple insémination avec sperme de donneur chez l’une des deux partenaires, permet que les deux femmes soient les parents biologiques de l’enfant ; l’une étant la mère génétique et l’autre la mère gestationnelle.

Ces cas ne répondent pas à une indication médicale d’infertilité mais à d’autres situations comme vus plus haut, entre autre l’amélioration de la santé psychologique du couple. La question se pose néanmoins d’avoir accès à une fécondation in vitro, procédure plus chère et plus à risque qu’une simple insémination intra-utérine avec sperme de donneur. L’argument des couples en faveur d’une maternité partagée étant justement d’avoir un enfant venant des deux membres du couple ; l’analogie pouvant être faite avec l’ICSI qui permet d’avoir un enfant issu des deux membres du couple alors qu’il est possible de faire une insémination avec sperme de donneur (Dondorp et al, 2010). Il faut également noter qu’une étude récente a montré que la maternité partagée permet une plus grande sécurité émotionnelle chez les deux partenaires du couple (Pelka, 2009). Les membres du groupe d’étude considèrent qu’il n’y a pas d’objection à priori, à la maternité biologique partagée, même si certaines situations doivent être analysée avec attention, comme par exemple le cas d’une femme de 38 ans qui souhaiterait faire un don d’ovocyte à son amie de 26 ans. Dans ce cas, ils se demandent si ce serait sage de le faire et si une contre-indication médicale ne devrait pas être mise en avant. Cette situation nécessitant au minimum une discussion approfondie avec le couple.

Préservation de la fertilité pour les personnes transsexuelles

Il semble qu’un nombre assez important de personnes transsexuelles souhaitent avoir un enfant après la chirurgie de changement de sexe. Celle-ci entrainant une stérilité, le seul moyen pour ces personnes d’être le parent génétique d’un enfant est d’avoir recours à une préservation de la fertilité. Il semble que ces problèmes n’aient pas été suffisamment pris en compte par le passé (Wierckx et al, 2012).

L’information des personnes doit être totalement transparente et il est nécessaire de bien leur expliquer que la conservation de leurs gamètes ne leurs donne pas un droit sans réserve d’accès à l’AMP. En effet, il devra être pris en compte différents éléments, et notamment le bien être de l’enfant à naître, et son information sur la transsexualité d’un de ses deux parents, certains couples refusant de donner cette information (Baetens, 2003). Ainsi, même s’il est généralement opportun d’informer l’enfant sur les évènements concernant sa conception, il peut y avoir des exceptions à cette règle (Chiland et al, 2013).

Les membres du groupe de travail considèrent que dans ce domaine, beaucoup de questions sont encore sans réponse, notamment les effets psychologiques de la préservation de la fertilité pour les personnes transsexuelles. Des recherches plus complètes sont nécessaires et même si les auteurs pensent que la préservation de la fertilité chez les transsexuels reste une bonne pratique, ils pensent que les cas difficiles vont émerger, comme par exemple le cas d’un homme transsexuel à qui on aurait congelé des ovocytes et qui aurait une relation avec une femme, replaçant le débat dans une situation particulière de maternité biologique partagée.

Considérations éthiques

Sur les aspects éthiques les membres du groupe de travail considèrent que :

  • Les AMP dans des situations non conventionnelles sont moralement acceptables dans de nombreux cas, et que, ne pas accepter de prendre ces couples en charge, est une forme de discrimination.
  • Les professionnels ne devraient pas utiliser des critères différents pour l’évaluation des facteurs de risques pour le bien être de l’enfant.
  • Les praticiens qui refusent de prendre en charge ces couples doivent les adresser à des cliniciens qui acceptent ces prises en charge.
  • Les professionnels devraient utiliser des critères basés sur des données scientifiques pour prédire le bien-être des enfants issus des AMP dans ces situations.
  • La préservation de la fertilité doit être proposée aux personnes transsexuelles.
  • L’AMP avec « maternité biologique partagée » peut être proposée aux couples de lesbiennes car moralement justifiée.
  • Concernant les personnes seules, les couples homosexuels masculins et les personnes transsexuelles, les données sont encore très peu nombreuses. Un nombre plus important d’études doit être réalisé au sujet du bien-être des enfants qui grandissent dans ces situations.
  • Les médecins qui prennent en charge ces situations atypiques ont le devoir de participer à des études notamment pour le suivi des personnes ayant eu accès à ces prise en charge, et des enfants nés de ces actes d’AMP en assurant la collecte des données issues de ces situations.

Références.

Should requests for donor insemination on social grounds be expanded to transsexuals?
Baetens P, Camus M, Devroey P.
Reprod Biomed Online. 2003 Apr-May;6(3):281-6

A new type of family : transmen as fathers thanks todonor sperm insemination.
Chiland C, Clouet A-M et al,
Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 2013. Doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.07.001.

Gender reassignment and assisted reproduction: present and future reproductive options for transsexual people.
De Sutter P.
Hum Reprod. 2001 Apr;16(4):612-4

Shared lesbian motherhood: a challenge of established concepts and frameworks.
Dondorp WJ, De Wert GM, Janssens PM.
Hum Reprod. 2010 Apr;25(4):812-4. doi: 10.1093/humrep/deq012

Children raised in mother-headed families from infancy: a follow-up of children of lesbian and single heterosexual mothers, at early adulthood.
Golombok S, Badger S.
Hum Reprod. 2010 Jan;25(1):150-7

Gay male couples and assisted reproduction: should we assist?
Greenfeld DA.
Fertil Steril. 2007 Jul;88(1):18-20

Sharing motherhood: biological lesbian co-mothers, a new IVF indication.
Marina S, Marina D, Marina F, Fosas N, Galiana N, Jové I.
Hum Reprod. 2010 Apr;25(4):938-41

Evaluating the welfare of the child in same-sex families.
Pennings G.
Hum Reprod. 2011 Jul;26(7):1609-15

Reproductive wish in transsexual men.
Wierckx K, Van Caenegem E, Pennings G, Elaut E, Dedecker D, Van de Peer F, Weyers S, De Sutter P, T'Sjoen G.
Hum Reprod. 2012 Feb;27(2):483-7

 
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