Une réflexion sereine et profonde

C’est bien celle que nous a présentée Lucette Khaïat, lors de ce colloque organisé à la Maison du Barreau, le 10 décembre, sur le thème : « Une loi : quel enjeu pour la maîtrise de la vie ? ».

Lucette Khaïat est directrice scientifique de l’Association Louis Chatin pour la défense des droits de l’enfant et ce colloque a réuni tout un ensemble de personnalités du monde juridique, telles que le Premier Président Lamanda, le Procureur général J-L. Nadal, le Bâtonnier Castelain et plusieurs autres éminents juristes tels que Frédérique Dreifuss-Netter, Conseiller à la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation ; on ne peut qu’évoquer, en déplorant sa récente disparition prématurée, la personnalité de Jean-Pierre Baud dont le superbe livre, « l’affaire de la main volée (1993) » est dans toutes les mémoires.

Des personnalités appartenant à d’autres domaines de la réflexion éthique et juridique étaient également présentes, et l’on soulignera celles de Henri Atlan, Joëlle Belaïsch-Allart, Geneviève Delaisi de Parseval, Pierre Jouannet, René Frydman, Dominique Mehl, Israël Nisand, Ruwen Ogien.

Je n’évoquerai que quelques points de ces diverses interventions fort riches par les réflexions qu’elles suscitèrent :

  • celle de Bénédicte Vassallo, Conseiller référendaire à la Cour de Cassation, pour qui l’embryon est une « entité juridique inclassable », à laquelle ne saurait s’appliquer la maxime bien connue « infans conceptus… » ; cette entité génère un certain « flottement » intellectuel, dont témoignent les quatre arrêts majeurs de la Chambre Criminelle, ou celui de la Cour Administrative d’Appel de Douai concernant la destruction involontaire de 512 embryons congelés.
  • Celle de Pierre Jouannet qui s’interroge sur l’éventualité de la levée de l’anonymat des donneurs de sperme lorsque les enfants auront 18 ans, souligne l’absence d’information précise sur une telle procédure et le fait qu’aucun enfant ne l’a demandée en Suède. A cette occasion est mentionnée une difficulté particulière liée à l’éventualité d’un déménagement transfrontalier (par exemple d’Allemagne en France) et des conséquences qu’il peut comporter quant à la reconnaissance de la filiation.
  • Celle de Joëlle Belaïsch qui s’interroge sur la nécessité ou la légitimité de toute régulation législative,
  • Celle de Geneviève Delaisi qui souligne l’impossibilité d’évaluer les conséquences de cette maîtrise de la généalogie avant la troisième génération,
  • Celle d’Israël Nisand qui rappelle sa position, maintes fois exprimée, en faveur d’une réflexion « au cas par cas »,
  • Celle de Ruwen Ogien qui souligne les conflits d’intérêt susceptibles de survenir entre le respect de l’ordre social et l’intérêt de l’enfant,
  • Celle de René Frydman qui insiste sur la relation au temps dans le cadre du don d’ovocytes et envisage l’éventualité de la conservation par une femme de ses propres ovocytes pour un recours ultérieur.

Mais je voudrais revenir sur l’exposé à la fois percutant et source d’une profonde réflexion présenté par l’animatrice de cette réunion, Lucette Khaïat :

Comme elle le dit avec force : « les personnes qui souhaitent avoir recours à une PMA sont considérées comme suspectes et les chercheurs et les médecins qui s’intéressent à la procréation considérés comme potentiellement dangereux ». Elle souligne que le législateur a soigneusement dressé la liste des personnes indignes de procréer : « les impertinentes femmes célibataires, les arrogants et les arrogantes homosexuel(le)s, les veuves fragiles ; peut-on affirmer que toutes les mères célibataires sont de mauvaises mères ? ». Et elle rappelle l’affirmation forte qui remonte à l’époque du Rapport Braibant (1988) : « deux parents, pas un de moins » ; si je me rappelle bien la citation exacte était : « deux parents, pas un de moins, pas un de plus » ; les temps changent….

De même que penser de cette exigence selon laquelle les gamètes doivent provenir d’au moins un des membres du couple, alors que par ailleurs l’accueil d’un embryon par un autre couple est autorisé ?

Autre forte remarque, à propos de l’anonymat : « le parent est celui qui a voulu l’enfant et non pas le donneur ; mais il est malsain d’effacer la personne humaine du donneur, comme si l’enfant était né d’une abstraction, comme si sa conception relevait d’une transgression, d’un acte coupable qu’il fallait cacher ». La suite de la phrase, en revanche, me met mal à l’aise : « il est malsain de cultiver le secret, de déposséder l’enfant d’une partie de son histoire au profit d’une entité froide qui s’appelle le Cecos ». Ayant partagé avec Georges David l’aventure du Cecos, ayant eu l’occasion toutefois d’exprimer des réserves à l’époque, ayant ensuite été convaincu par la fougue et la générosité de Georges David, étant par ailleurs persuadé que les progrès de la connaissance génétique modifieront profondément les règles du recours au don de gamètes, je ne puis souscrire à la qualification d’ « entité froide » pour décrire le fonctionnement des Cecos ; cette entité fut au contraire chaleureuse, humaine, bénéfique, même si comme bien d’autres institutions elle est appelée à évoluer.

La conclusion s’impose et je me retrouve ici en total accord avec Lucette Khaïat : « ne revient-il pas aux praticiens de définir eu-mêmes, au cas par cas, la meilleure méthode à suivre pour mener à bien une procréation ? »

 

« Est-ce qu’une aspiration éminemment personnelle qui touche au plus profond de l’être, peut être canalisée par la loi ?...La PMA n’a rien d’anormal, d’insolite ou d’effrayant. A-t-elle vraiment besoin d’être régie par une loi menaçante ? … L’éthique n’est-elle pas hors du champ de la loi, la recherche d’une réponse personnelle, au cas par cas. … Ce sont les sentiments qui fondent la paternité et la maternité et non les principes…. ».

 

Et la conclusion terminale de Lucette Khaïat nous frappe de plein fouet : « la maîtrise de la vie, c’est la marche vers l’inconnu délibérément assumée, c’est la liberté, c’est l’alliance de l’intelligence, de la fraternité et c’est surtout le triomphe de l’amour. Elle n’a pas besoin de cette loi ».

 
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