Mortalité par cancer du sein chez les femmes traitées par tamoxifène recevant un inhibiteur de la recapture de la sérotonine

Le tamoxifène est l’anti-estrogène le plus largement utilisé ces 3 dernières décades comme traitement adjuvant des cancers du sein RE+. Cette molécule est une pro-drogue métabolisée par l’isoenzyme 2D6 du cytochrome P450 (CYP2D6) en endoxifène et 4 OH-tamoxifène. L’ affinité de ces métabolites pour les récepteurs des estrogènes est 100 fois supérieure à celle du tamoxifène. Certaines thérapies inhibent le CYP2D6 et pourraient de ce fait réduire l’efficacité du tamoxifène en cas d’utilisations prolongées. Les nouveaux antidépresseurs de la classe des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) possèdent cette action inhibitrice à des degrés divers. Or ces molécules sont largement utilisées après un cancer du sein comme traitement d’un syndrome dépressif mais également pour aider à la correction du syndrome climatérique.

La question se pose de savoir si l’utilisation de tels antidépresseurs, sur le long cours, peut avoir des conséquences néfastes sur l’efficacité du tamoxifène. Pour explorer cette interaction, une équipe canadienne a mixé les données provenant de divers registres de prescriptions dans de larges populations. La cohorte identifiée était constituée de 24430 femmes âgées de 66 ans et plus, traitées par tamoxifène pour un cancer du sein entre 1993 et 2005. 30,6% d’entre elles avaient reçu un antidépresseur durant leur traitement par tamoxifène. Après exclusion de celles ayant eu recours à plusieurs IRS ou celles dont la compliance au traitement était faible, restaient 2430 femmes ayant bénéficié simultanément d’un traitement par IRS. La paroxétine était l’IRS utilisé dans 25,9% des cas, or il se trouve que cette molécule inhibe de manière irréversible le CYP2D6.

Parmi ces 2430 femmes, 15,4% décédèrent des suites de leur cancer du sein au cours du suivi. Après ajustement sur l’âge, la durée du traitement par tamoxifène et d’autres facteurs confondants possibles, il apparaissait une relation linéaire entre la durée de l’association tamoxifène- paroxétine et le risque de décès par cancer du sein : pour un chevauchement de 25%, 50% et 75% le risque de décès par cancer du sein augmentait respectivement de 24%,54% et 91%. Cette relation n’était pas retrouvée pour les antidépresseurs de autres classes thérapeutiques (tricycliques notamment). Cet accroissement du risque de mortalité à la fois globale et liée au cancer du sein n’était pas retrouvé, dans cette étude, avec d’autres ISR ; se pose la question de savoir si cela provient d’une moins forte inhibition du CYP2D6 ou d’une insuffisance de puissance de l’étude pour les autres molécules de cette classe thérapeutique.

Ces données sont d’importance majeure pour la pratique clinique en raison de la fréquence de l’association de ces 2 thérapeutiques. La prévalence de la dépression en cas de cancer du sein est environ 2 fois celle de la population générale et ce particulièrement dans la période proche du diagnostic. Dan cette étude, 30% des femmes qui débutaient un traitement par tamoxifène recevaient un antidépresseur et la paroxétine était le plus utilisé. Cette molécule apparaît ici associée à un accroissement net de la mortalité globale et liée au cancer du sein. Dans une autre étude, la venlaxafine, volontiers utilisée pour traiter le syndrome climatérique associé au tamoxifène, ne montrait pas d’effet néfaste en terme de mortalité. Ce composé possède, contrairement à la paroxétine, une action inhibitrice minime sur le CYP2D6.

A la lumière de ce travail, il semble qu’une vigilance extrême doive être apportée quant au choix de la molécule lorsqu’un traitement par un antidépresseur est requis chez une patiente sous tamoxifène.

Kelly C M, juurlink D N,Gomes T, Duong-Hua M, Pritchard K I, austin P C, Paszat L F. Selective serotonin reuptake inhibitors and breast cancer mortality in women receiving tamoxifen: a population based cohort study. BMJ 2010;340:c693 doi:10.1136/bmj.c693.

 
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