Le dépistage du cancer du sein : un long fleuve pas si tranquille

Le dépistage organisé (DO) du cancer du sein a débuté en France en 1989 avec une couverture nationale depuis 2004. Il est fondé sur un réseau national de radiologues agréés, avec un contrôle de qualité.  En France, le DO concerne les femmes de 50 à 74 ans, avec une mammographie et un examen clinique tous les 2 ans sans avance de frais.

La participation au DO est très inégale en fonction des régions, 52,1% en moyenne [INVS 2014] soit 5 millions de femmes pour la vague 2013-2014. Cependant en ajoutant les 10 à 15 % du dépistage individuel, l’objectif des 70% des recommandations européennes et 65% du plan cancer est presque atteint.

Le cancer du sein est la première cause de mortalité avec 12 000 femmes par an et un total de 49 000 nouveaux cas de cancers dépistés annuellement dont 25 % des cancers avant 50 ans, 50 % entre 50 et 70 ans et 25 % après 70 ans. [INCA 2014]. 36 000 nouveaux cancers, invasifs et CIC, sont dépistés par le DO, sur 2 ans (1 vague de dépistage), soit un taux de dépistage de 7,6 cancers pour 1000 mammographies. Depuis 2010, grâce à l’introduction de la mammographie numérique dans le DO [étude DMIST NEJM 2005 et l’arrêté du 24 Janvier 2008], il existe une augmentation significative du taux de détection des cancers du sein. La mortalité par cancer du sein a globalement diminué de 1,5 % par an entre 2005 et 2012 en France avec une amélioration du taux de survie de 87% à 5 ans [INVS 2016].

L’objectif du DO est double, d’une part une réduction de la mortalité estimée à 25 - 30% et d’autre part un diagnostic précoce améliorant la prise en charge.

Les polémiques portant sur la justification et les effets collatéraux du DO ont débuté en 2000. Les publications remettant en cause le dépistage se sont multipliées depuis 2012 (Etude Cochrane, OLSEN 2001, GØTZSCHE NIELSEN 2009 - 2011]. Les doutes sur le bienfait du DO sont apparus, relayés en France par des publications médicales essentiellement pour les médecins généralistes. Le point d’orgue fut l’entrée en lice des patientes (No Mammo 2011), puis les médias grands publics (Que choisir 2012) et les réseaux sociaux.

Ces critiques ont eu un impact sur les patientes, certaines questionnent le bienfondé du dépistage avec leur médecin tandis que d’autres préfèrent différer ou annuler leurs examens de mammographie.

Le dépistage du cancer du sein est-il en danger ? Quelles en sont les principales critiques

  • IMPACT SUR LA MORTALITE : L’étude Cochrane, incluant 9 études randomisées, entre 1960 et 1980, pour 600 000 femmes de 39 à 74 ans, dont 7 analysées et de qualité variable, retrouve une réduction moyenne de la mortalité de 15% au bout de 13 ans. Des critiques de cette méta-analyse portaient sur des niveaux de preuves peu élevés et la méthodologie (exclusion de certaines études favorables au dépistage, mortalité globale toutes causes confondues et non pas par cancer du sein, patientes convoquées et non pas participantes au dépistage).   En même temps, une étude Européenne cas témoins [Euroscreen 2012] confirme l’intérêt du dépistage avec 430 décès évités pour 100 000 femmes dépistées.
     
  • AMELIORATION DE LA SURVIE PRINCIPALEMENT LIEE AUX PROGRES THERAPEUTIQUES PLUTOT QU’AU DEPISTAGE. Le premier avantage du dépistage du cancer du sein est un diagnostic précoce avec une réduction de la taille des lésions dépistées et un envahissement ganglionnaire moindre. Pour une réduction de 28% de la mortalité, 18% serait attribuées majoritairement aux progrès thérapeutiques et 10% au DO soit un tiers [Kalager NEJM  2010]. Les deux critères restent cependant intimement liés, le traitement dépendant de la précocité du diagnostic.
     
  • FAUX POSITIFS ET FAUX NEGATIFS : Les faux positifs sont les mammographies positives mais avec des examens complémentaires ne révélant pas de cancer (8 à 21%) [Hofvind, 2012]. En France avec le Bilan Diagnostic Immédiat(BDI) et la seconde lecture, le taux de rappel est faible 1,3% des femmes dépistées. Ces faux positifs peuvent générer stress et anxiété. Les procédures de biopsies ne représentent que 3% en moyenne, avec des taux variables en fonction des pays et du médico-légal (1,8 à 6% aux USA).  Les faux négatifs ou cancer de l’intervalle représentent 20% des cancers soit moins de 2 cancers pour 1000 femmes dépistées grâce à l’introduction de l’examen clinique, la seconde lecture et aux progrès technologiques. La deuxième lecture permet un rattrapage global de 6 à 7% de cancers, soit 2200 cancers rattrapés par vague de 2 ans. Cependant il persiste l’existence de cancers rares de l’intervalle à évolutions rapide, proches d’une mammographie normale de dépistage, qui ne sont pas compréhensibles par les patientes.
     
  • SUR-DIAGNOSTIC de lésions de cancers in situ ou invasives asymptomatiques, qui n’évolueront peut-être jamais vers un cancer symptomatique de son vivant. Les cancers in situ représentent 15% des cancers dépistés (doublement du taux depuis le dépistage). Il a été souligné par de nombreux auteurs y compris les détracteurs du dépistage, de l’impossibilité actuelle de prévoir l’évolution naturelle de certains de ces cancers dépistés. WELCH [NEJM 2016] a évalué le surdiagnostic en fonction de la taille des tumeurs pour un dépistage du cancer du sein des femmes de plus de 40 ans entre 1975 et 2012. L’auteur constate avant et après l’introduction du dépistage, l’augmentation des tumeurs de petites tailles (< 2cm ou in situ) de 32% à 66% soit 162 /100 000 dans les années 2000 et d’une baisse des grosses tumeurs (> 2cm) de 64% à 32%), soit 30/100000 dans les années 1970. La conclusion de l’auteur est que les 132/100 000 petites tumeurs supplémentaires seraient dues au surdiagnostic. L’analyse de cette étude montre encore de nombreux biais, principalement celui d’avoir comme hypothèse initiale un taux de cancers palpables stables au fil du temps, et la comparaison de situations non comparables avant et après l’avènement du dépistage. Les cancers supplémentaires ne sont pas dus à un surdiagnostic mais au fait de l’incidence croissante du cancer du sein invasif du cancer, taux estimé à 1% par an. On peut raisonnablement estimer le taux de surdiagnostic à 10% maximum dans la période du dépistage organisé. Ce taux augmente significativement pour les mammographies effectuées avant 50 ans ce qui explique les réticences à l’abaissement de l’âge du début du DO.
     
  • SUR-TRAITEMENT : L’augmentation du taux de mastectomie de 20% due au nombre croissant de cancers dépistés par rapport à la période avant dépistage est souvent avancée par les détracteurs du DO. En raison de la précocité des diagnostics, le taux de mastectomie actuel (30%) a proportionnellement diminué par rapport au taux de traitement conservateur (70%). Concernant la question des risques de sur-traitements induits par les sur-diagnostics, la réponse à cette situation, n’est pas d’arrêter le dépistage mais de proposer des traitements plus adaptés avec une désescalade thérapeutique et de permettre aux 90% des femmes dépistées d’être traitées efficacement.
  • IRRADIATION INDUITE PAR LES MAMMOGRAPHIES ET RISQUES DE CANCERS RADIO-INDUITS. Les études cliniques les plus récentes utilisent des appareils de mammographie de dernière génération et montrent un avantage en faveur du dépistage sans risque significatif lié à l’irradiation des mammographies. Le nombre de vies sauvées par le dépistage est de 350 /100 000 avec un risque de cancer radio-induit de 10/100 000 et décès de 1/100 000 femmes dépistées entre 50 et 69 ans avec une mammographie effectuée tous les 2 ans [IH Auge, 2014]. La mammographie délivre une faible dose de rayons mais ne représente pas un obstacle au dépistage.

C’est ainsi que se succèdent les études avec résultats et surtout interprétations contradictoires.

Le Dépistage organisé en 2015 – 2016  

La HAS se prononce pour le maintien du DO dans les conditions actuelles. Cependant le débat bénéfice/risque n’est pas résolu et comporte des zones d’incertitudes persistantes renvoyant à une question éthique fondamentale sur la nature de l’information à délivrer aux femmes sur l’efficacité du programme de dépistage organisé.

En juin 2015, LE CIRC (groupe international de 29 experts indépendants, venus de 16 pays différents) publie, dans le NEJM, une analyse concluant à une réduction de la mortalité, justifiant le dépistage organisé, malgré le surdiagnostic, les faux positifs et le risque de cancers radio-induits largement compensés par la réduction de la mortalité (Intérêt entre 50 et 74 ans, pas de preuve avant 50 ans et après 74 ans).

En janvier 2016, aux USA, l’USPSTF (Us Préventive Services Task Force) recommande, dans une mise à jour de ses analyses, le dépistage entre 50 et 74 ans et confirme l’intérêt du dépistage entre 40 et 49 ans

Aujourd’hui se pose la question de l’avenir du dépistage et la nécessité de rétablir la confiance chez nos patientes ainsi que certains médecins, car il existe un risque de revenir aux chiffres de mortalité avant le dépistage. Face à cette menace, le ministère de la santé a réalisé une Concertation Citoyenne (www.concertation-depistage.fr). Quelles en sont les conclusions présentées en octobre 2016 ? Absence de consensus scientifique sur le bénéfice du DO, rapport bénéfices / risques plus modéré que prévu du DO, nécessité d’une information claire, précise et complète, afin de permettre aux femmes d’adhérer ou non à cette démarche du dépistage et un dépistage adapté aux risques individuels.

L’avenir du dépistage devra prendre en compte les réalités socio-économiques et territoriales afin de permettre l’accès à toutes les populations à un dépistage du cancer du sein de qualité, engagement majeur de santé publique. Il faut donc expliquer l’intérêt du dépistage avec ses effets collatéraux mais laisser la liberté aux patientes de participer ou non au DO.

Cette polémique sera-t-elle profitable au DO ? Elle doit permettre une réflexion en profondeur sur nos pratiques, sur le manque d’information de nos patientes, le caractère anxiogène mais bénéfique du dépistage. Il faut remettre les médecins au cœur de cette démarche (médecin généraliste et gynécologue) pour l’information, l’évaluation du risque individuel pour définir le rythme et l’âge du début : tous les deux ans ? 50 ans ou plus tôt ? Patientes et médecins doivent pouvoir choisir entre DO et dépistage individuel, l’important pour les femmes étant d’être dépistée. Mais attention, le dépistage par prescription est une démarche individuelle et le DO une démarche de santé publique. Proposer une mammographie individuelle entre deux mammographies de dépistage « gratuites » ou pour améliorer la participation du DO, est une erreur qui à court terme enlèvera toute crédibilité au DO ! Enfin il faut faciliter l’introduction dans le DO des évolutions technologiques avec l’utilisation de l’archivage numérique pour la seconde lecture et la technique de mammographie en 3D par tomosynthèse. Aujourd’hui, avec le dépistage « moderne » pratiqué sur le territoire, renoncer au DO c’est ignorer les progrès du diagnostic (Numérisation, Echographie, IRM, imagerie interventionnelle), les contrôles de qualités, la formation de tous les acteurs du dépistage et surtout ne plus permettre une accessibilité financière et géographique à un dépistage de qualité à toute les femmes qui le désirent. Enfin renoncer au dépistage, c’est ignorer les grandes études internationales qui ont confirmé l’impact sur la baisse de la mortalité, estimée à 30 % pour les femmes qui ont réellement participé au dépistage avec une balance bénéfice risque favorable au DO, de 1 cas de surdiagnostic pour 1 à 1,4 cas de décès évités.

La véritable question n’est pas de remettre en cause le dépistage organisé mais plutôt de réorganiser le dépistage du cancer du sein.

 

 
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