Dépistage organisé du cancer du col : le bilan d’une région pilote

Prof. Jean-Jacques BALDAUF*, Dr Cherif Y. AKLADIOS*, Dr Emmanuelle BAULON*, Dr Emilie FALLER*, Dr Thomas BOISRAME*, Dr Muriel FENDER**
*Département de Gynécologie et d'Obstétrique ; Hôpital de Hautepierre ; HOPITAUX UNIVERSITAIRES DE STRASBOURG, 67098 Strasbourg Cedex, France.
** Association EVE,  69 route du Rhin, 67400 Illkirch Graffenstaden, France


Déclaration publique de liens d’intérêt dans ce domaine : néant

En 2010 la HAS a recommandé le dépistage organisé qui a fait la preuve de sa supériorité par rapport au dépistage individuel en termes d’efficacité, d’efficience, ainsi que d’équité et d’égalité d’accès à la prévention. Les résultats de la campagne de dépistage organisé EVE menée en Alsace depuis plus de 20 ans ont largement contribué à cette recommandation. Plus récemment la généralisation à toute la France du dépistage organisé du cancer du col de l’utérus a été recommandée dans le troisième plan cancer 2014-2019 et cette mesure a été officiellement présentée par le Président de la République dans son allocution du 4 février 2014.

La campagne de dépistage organisé du cancer du col de l'utérus est opérationnelle depuis 1994 dans le Bas-Rhin et a été étendue au Haut-Rhin en 2001. Son objectif est d’optimiser le dépistage par une meilleure participation de la population et par une démarche d’assurance qualité à toutes les étapes. Nous présentons ici le bilan de cette campagne régionale pilote en France.

Méthodes

La population cible comprend les femmes de 25 à 65 ans résidant dans la région soit environ

516 000 femmes (estimation Insee). Le dépistage est réalisé selon les modalités habituelles : la patiente se rend chez le médecin de son choix  pour effectuer son frottis. Le prélèvement est confié à l’Anatomo-Cyto-Pathologiste (ACP) qui l’interprète et transmet le résultat au médecin. Le frottis est remboursé à la patiente comme les autres examens médicaux (1).

Une fois par mois, l’ACP transmet à l’association EVE, via un support informatique, les résultats de tous les frottis réalisés dans la population cible ainsi que les examens histologiques réalisés dans les suites. Ce recueil de données a fait l’objet d’une autorisation de la CNIL et permet de suivre les femmes même lorsqu’elles changent de médecin.

Pour tous les frottis positifs, un questionnaire est adressé au prescripteur afin de s’assurer de la prise en charge et de faire la confrontation cyto-histologique. En l’absence de nouvel examen au bout de 12 à 18 mois, une relance est effectuée. Les patientes perdues de vue par les cliniciens reçoivent un courrier de relance.

Pour augmenter la participation, les femmes qui n’ont pas bénéficié d’un frottis dans les 3 ans, sont incitées à se faire dépister. Une relance est effectuée après 1 an si l’invitation n’a pas conduit au dépistage. Afin de favoriser l’accès au dépistage des femmes en situation de précarité, un dispositif d’invitation particulier est réalisé pour les assurées bénéficiant de la CMUc ou de l’aide médicale gratuite. Des actions de médiatisation sont également menées et l’association Eve s’efforce d’impliquer plus, les médecins traitants (1).

Résultats

La participation des femmes a augmenté pour atteindre des taux comparables à ceux observés dans les pays du nord de l’Europe, leaders en matière de dépistage du cancer du col. Ainsi 71,2 % des femmes ont bénéficié d’au moins un frottis dans les 3 ans, elles sont 82 % à 5 ans. Cette participation est significativement supérieure à celle observée dans les départements où le dépistage n’est pas organisé (2).

La campagne a permis de dépister 4953 CIN 3 et environ 1000 cancers ont ainsi pu être évités. De surcroît les cancers survenus malgré le dépistage (cancers d’intervalle) sont de plus petite taille et de stade moins avancé donc de meilleur pronostic que ceux observés chez celles qui ne se font pas dépister.

Le dispositif d’invitation particulier des femmes en situation de précarité, a été analysé prospectivement à partir de 2007 conformément à la mesure 14.2 du plan cancer 2. Pour les femmes âgées de 25 à 38 ans n’ayant pas réalisé de frottis dans les 3 ans précédents, la participation spontanée au dépistage était significativement inférieure chez les titulaires de la CMU par rapport à la population générale (62,1% versus 72,5%) tout comme la réponse à l’invitation était moindre chez les femmes en situation  précaire (22,8% versus 25,7%), mais les bénéficiaires de la CMU présentent significativement plus de frottis anormaux. Les anomalies sévères sont deux fois plus fréquentes chez elles. Nous avons par ailleurs constaté une moins bonne qualité du suivi des frottis anormaux chez les bénéficiaires de la CMU n’atteignant que 50% de suivi adéquate en cas d’anomalies sévères soulignant les efforts particuliers à déployer en direction de cette population tout au long du processus de dépistage (de l’invitation au traitement des lésions et au suivi post-thérapeutique).

Coût-efficacité

Le coût de fonctionnement annuel de la campagne de dépistage EVE est de 1,2 € par femme dépistée.

Les travaux de modélisation menés par l’INVS et tenant compte de la situation épidémiologique française ont montré que l’organisation du dépistage du cancer du col de l’utérus selon le modèle réduirait le nombre de cancers diagnostiqués et de décès liés à ces cancers de respectivement 16,1 % et 19,5 % avec un coût de 22 700 € par année de vie sauvée (3).

Conclusion

La participation de la très grande majorité des professionnels de santé et le soutien constant des institutions publiques à la fois partenaires et financeurs ont été essentiels pour le succès de cette campagne qui se caractérise à la fois par plus d’efficacité pour la population, plus de sécurité pour les professionnels de santé et un moindre coût pour la société.  
 

Références

  1. Fender M. EVE, une campagne régionale de dépistage du cancer du col de l’utérus. Presse Médicale. 2003; 32(33):1545–51.
  2. Etat des lieux et recommandations pour le dépistage du cancer du col de l’utérus en France. Haute Autorité de Santé; 2010 juillet.
  3. Modélisation médico-économique de l’impact de l’organisation du dépistage du cancer du col utérin et de l’introduction de la vaccination contre les HPV dans le calendrier vaccinal. InVS-

 
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