Cancer de la femme et préservation de la fertilité

Analyse d’article.

Emergency IVF versus ovarian tissue cryopreservation : decision making in fertility preservation for female cancer patients.
Fertil Steril, 2013, In Press.

Les cancers de la femme sont diagnostiqués dans de nombreux cas à un âge où doit se poser la question de la préservation de la fertilité. Le dernier rapport de l’Agence de la Biomédecine (ABM) et de l’Institut National du Cancer (INCA) insiste sur cette prise en charge qui doit être proposée aux patientes dans un contexte souvent difficile de la mise en place rapide d’un traitement anticancéreux ; de nombreuses patientes souhaitant pouvoir conserver la possibilité d’avoir des enfants avec leurs gamètes.

Une publication (Chunk K, et col, 2013) reprend les données récentes permettant de savoir quelles possibilités de conservation de la fertilité peut être proposées aujourd’hui à ces patientes, notamment si l’on doit privilégier, dans ce contexte d’urgence, une fécondation in vitro, une cryo-conservation d’ovocytes ou une cryo-conservation de tissus ovarien.

Les traitements par radiothérapie, selon leurs doses et leurs durées entrainent des dommages reproductifs à type d’insuffisance ovarienne précoce. Une dose de 2 Gy entraine une perte de 50% des follicules primordiaux ; et des doses de 16,6 Gy  à 20 ans, ou de 14 Gy à 30 ans sont stérilisantes. Quand il y a association de ce type de traitement avec une chimiothérapie, notamment avec des agents alkylants, les effets sont potentialisés. Les doses importantes de rayons entrainent également des effets utérins, qui ont des conséquences en cas de grossesse ultérieure avec une augmentation du risque de fausse couche.

Les traitements anti-cancéreux entrainent des altérations de l’ADN des ovocytes. Ces lésions sont plus ou moins importantes en fonction des traitements et peuvent aller d’une diminution de la réserve ovarienne modérée jusqu’à une insuffisance ovarienne précoce (Partridge AH et col, 2001 ; Najafi S et col, 2011 ; Hodgson DC et col, 2007). Ces altérations devront être évaluées par l’utilisation des marqueurs de réserve ovarienne (FSH, AMH, compte de follicules antraux (CFA)). Plusieurs études précisent que le risque de ces traitements d’entrainer une infertilité augmente avec l’âge de la patiente et son statut ovarien avant le traitement (Meirow D, 2000 ; Petrek JA et col, 2006). Ces données devront être prises en compte dans le choix de proposer ou non à la patiente une préservation de sa fertilité avant traitement.

Les auteurs rappellent qu’il est nécessaire, avant la proposition du type de préservation de la fertilité, de faire une évaluation de la réserve ovarienne, afin de ne proposer cette préservation qu’aux patientes présentant une réelle chance d’efficacité. Il est également nécessaire d’évaluer l’état général de la patiente au cours d’une consultation, de faire une balance bénéfices risques (possibilité d’attente avant traitement du cancer, risque du type de préservation de la fertilité ; notamment celle nécessitant une stimulation sur l’évolution du cancer …) au cours d’une discussion pluridisciplinaire. Cette discussion doit aussi évaluer les bénéfices risques des différents types de préservation de la fertilité pour une patiente. Chaque cas est particulier et la décision finale doit être prise en concertation et avec l’accord de la patiente, celle ci ayant été parfaitement informée.

Les auteurs reprennent ensuite les différentes méthodes de préservation de la fertilité et leurs indications et possibilité en fonction de différents cas.

Concernant la fécondation in vitro, cette technique est maitrisée par les équipes depuis de nombreuses années, mais elle nécessite une stimulation ovarienne. Dans ces conditions, il faut que la patiente ait un partenaire, que son cancer supporte une stimulation ovarienne et qu’il puisse y avoir un délai entre le diagnostic de la maladie cancéreuse et le début du traitement anti-cancéreux. Plusieurs études montrent que la phase de stimulation pour AMP doit être faite avant le début du traitement de chimiothérapie afin d’éviter les risque génétiques et morphologiques pour les ovocytes ayant repris leurs méioses. (Meirow D et col, 2005a ; Bar-Joseph H et col, 2010). Une chimiothérapie réalisée pendant une stimulation ovocytaire pouvant entrainer des risques de fausses couches et de malformation (Kujjo L et col). Ces effets délétères de la chimiothérapie sur les ovocytes en méiose ne sont pas retrouvés sur les ovocytes primordiaux (Winther JF et col, 2004).

Les auteurs précisent que le choix du type de stimulation chez ces patientes atteintes de cancer est différent de celui d’une population infertile générale, notamment à cause de la notion de temps limité, afin de ne pas trop retarder le début de la chimiothérapie. Les protocoles antagonistes sont généralement privilégiés de manière à diminuer la durée de stimulation, diminuer les doses de gonadotrophines utilisées et diminuer le risque d’hyperstimulation ; celle ci entrainant alors un retard de la prise en charge de la pathologie cancéreuse.

Chez les patientes ayant un cancer du sein, ce choix est encore plus difficile et complexe dans la mesure où les estrogènes sont impliqués dans la physiopathologie de la tumeur et qu’un taux élevé d’oestradiol peut entrainer une prolifération des cellules cancéreuses. Dans ces situations, le choix de l’association gonadotrophine – Letrozol peut être une solution à discuter. Une étude (Meirow D et col, 2003) montre que l’utilisation du Tamoxifène peut être associée à un protocole de stimulation standard afin de limiter l’augmentation d’oestradiol.

Concernant les cryo-conservations d’embryons, les auteurs précisent qu’il existe peu d’études sur les transferts d’embryons congelés dans ce contexte particulier de patientes ayant eu une FIV avant traitement anti-cancereux; mais que les taux d’implantation devrait être meilleurs car on s’adresse à une population de femmes à priori fertiles.

Concernant les cryo-conservations d’ovocytes, les auteurs précisent que la technique de vitrification a été mise en place depuis quelques années dans plusieurs pays et que les résultats très encourageants en terme de survie des ovocytes à la décongélation et de naissance d’enfants en bonne santé (Noyes N et col, 2009) incitent les femmes à choisir cette solution quand elle leurs ait proposée. Il y a actuellement encore peu de données chez des patientes atteintes de cancer et à qui on a conservé des ovocytes par vitrification. Les premières données internationales avec la technique de vitrification ovocytaire montrent qu’il est bénéfique pour la patiente de privilégier cette technique, à la fois pour la qualité des résultats au moment de la décongélation des ovocytes mais également car elle ne nécessite pas de réaliser immédiatement une fécondation in vitro.

Les auteurs de l’article précisent que la cryoconservation de tissus ovarien peut également être une alternative dans la stratégie de préservation de la fertilité. C’est la seule solution pour une jeune fille avant la puberté, pour une patiente pour laquelle il y a un risque de stimulation vis à vis de sa pathologie cancéreuse ou quand le traitement anti-cancéreux doit être démarré très rapidement. Ce peut être également une solution si la patiente a déjà démarré sa chimiothérapie car comme les auteurs le précisent plus haut, les follicules primordiaux n’y sont pas sensibles.

Le but de cette technique étant de réaliser une réimplantation orthotopique ou hétérotopique du fragment de tissu ovarien ; la solution orthotopique étant la meilleure solution. Il faudra alors attendre la reprise de la fonction endocrine de l’ovaire greffé qui a lieu en moyenne au bout de 4,7 mois (Janse F et col, 2011). Des grossesses et des naissances par conception naturelle (Donnez J et col, 2004) ou par fécondation in vitro (Meirow D et col, 2005b) ont été rapportées mais l’efficacité de la technique est encore difficile à évaluer car les données sont insuffisantes.

Les auteurs évoquent également le risque de réintroduction de cellules malignes restantes dans le fragment congelé.

Dans une série de 18 femmes (6 avec Leucémies Myéloïdes Chroniques et 12 avec Leucémies Aigues Lymphoblastiques), aucune cellule maligne n’a été retrouvés par histologie, ni immuno-histochimie mais en utilisant la RT-PCR, des marqueurs de cellules cancéreuses sont trouvés dans 2 LMC/6 et dans 7 LAL/10 (Dolmans MM et col, 2010). Ceci étant, la signification d’une RT-PCR positive, dans ce contexte, n’est pas réellement connue. Par contre, il est certain qu’une RT-PCR négative est rassurante avant une éventuelle transplantation.

Les auteurs précisent également qu’il y a très peu d’études sur cancer du sein et risque de présence de cellules cancéreuses dans l’ovaire. Deux études ne montrent pas de présence de cellules cancéreuses dans les fragments d’ovaire ou dans le cortex ovarien (Sanchez-Serrano M et col, 2009 ; Rosendahl M t col, 2011).

Dans le cas du sarcome d’Ewing, les études ne semblent pas montrer la présence de marqueurs du sarcome sauf pour un cas (Abir R et col, 2010).

Ces différentes données montrent qu’il est nécessaire de faire une étude histologique et moléculaire avant de greffer le tissu ovarien.

La maturation in vitro peut être une approche alternative afin de ne pas greffer le tissu et éviter ainsi le risque de réintroduction de cellules malignes, mais cette méthode est encore peu efficace en terme de résultat en tout cas dans l’espèce humaine.

Les auteurs concluent que les solutions avec les embryons congelés et maintenant les ovocytes vitrifiés restent aujourd’hui le « gold standard » pour la préservation de la fertilité chez les patientes atteintes de cancer, quand ceci est possible avant le début du traitement.

 

Analyse de l’article.

Cet article reprend les différentes possibilités de prise en charge de la préservation de la fertilité en cas de cancer chez la femme avec les avantages, les inconvénients et les risques associés aux différentes situations. Il est certain que la vitrification ovocytaire semble être une technique très efficace, laissant aussi une plus grande liberté à la femme puisqu’elle est seule décisionnaire du devenir de ses gamètes. La possibilité de vitrifier les ovocytes en France depuis la Loi de Bioéthique de 2011 a permis aux centres autorisés pour cette pratique (« conservation des gamètes et des embryons dans le cadre de la préservation de la fertilité ») de commencer à proposer cette technique aux patientes. Elle devra être évaluée dans notre pays afin de voir si les équipes retrouvent les résultats prometteurs déjà publiés depuis plusieurs années par nos collègues étrangers. La cryopréservation de tissu ovarien reste encore aujourd’hui en France une technique de recherche en ce qui concerne la ré-implantation de ce tissu, et cet article montre que les risques de ré-introduction de la pathologie cancéreuse ne peuvent pas être totalement écartés dans tous les cas. Ceci étant cette solution peut être la seule dans certaines situations, et il est nécessaire que les recherches continuent afin de pouvoir proposer ce type de prise en charge avec la plus grande sécurité.

 

Référence :

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Chung K, Donnez J, Ginsburg E and Meirow D. Emergency IVF versus ovarian tissue cryopreservation : decision making in fertility preservation for female cancer patients.

Fertil Steril, 2013, In Press.

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